"Que demande le peuple ?"

Réponse de Lilian Lloyd

Quel est ce quatrième mur dont on nous parle tant ? Peut-être simplement un petit mensonge que nous partageons. Les spectateurs se savent dans une salle de théâtre. Les comédiens se savent sur scène et connaissent leur texte (enfin, on espère !). Les régisseurs ont leur conduite devant les yeux et connaissent les lumières et les sons à envoyer. Plutôt qu’un mur, je parlerais alors de ce petit mensonge qui crée le lien entre toutes ces personnes et crée la communion au moment venu. De cela naît l’empathie (« L’empathie-kinesthésie », me disait souvent mon professeur de pantomime, je lui rends hommage…). Et la voilà, l’émotion répétée cent fois avant d’être rendue sur scène plus vraie que nature pour venir toucher les cœurs de l’audience qui, par sa propre histoire, la renverra au comédien. Dans le meilleur des cas, nous voilà alors tous unis par ce petit mensonge « Je suis au théâtre ». Et notre travail, à nous, artisans des mots et des affects, est de tenter de faire oublier que vous y êtes, justement, au théâtre… D’un côté comme de l’autre, ce mur n’existe pas. Et pourtant… J’ai vu trop de spectacles qui ne s’adressaient qu’à eux-mêmes et tant de comédiens qui parvenaient à transformer cette ligne imaginaire du mur en miroir pour y faire refléter leur nombril à chaque réplique. Je suis venu à cet art par nécessité, de partages, d’envies d’aller à la rencontre du public et par réaction épidermique à ce que mes études théâtrales me forçaient à voir. J’entends encore ce metteur en scène très en vogue à l’époque répondre à ma candide question du « Pourquoi son spectacle », auquel je n’avais pas pipé mot, me répondre : « Quand on n’a pas les références, on ne peut pas comprendre… » Et puis, mon chemin s’est illuminé de belles présences, comme les textes du Durringer ou l’apprentissage du clown de la commedia dell’arte par la sublime Nicole Félix, dont le plaisir ultime était de me laisser seul, grimé, sur scène en me lançant « Fais-moi rire ! ». « Combien de temps ? » osais-je demander. « Trente minutes », qu’elle rétorquait, allumant une nouvelle cigarette. Je suis tombé amoureux de ce mensonge qui fait ma vie depuis vingt ans et qui me donne le sentiment d’exister seulement quand je le pratique. Alors, quatrième mur, oui ou non, je ne sais pas. J’avance, écris, mets en scène et joue (si bien entouré) en mettant l’humain au cœur de mon projet, entre les trois murs que chaque salle m’offre. Qu’il existe ou non ce quatrième mur, la seule vérité qu’accepte ce petit mensonge, c’est qu’aux saluts, les cœurs, de chaque côté de la scène, battent un peu plus…