Edito [I/O n°47] : “Qui ne meurt pas de n’être qu’un homme…”

« Les choses du réel ne me font pas peur, seulement celles qui sont au fond de mon esprit », disait Francesca Woodman, entre deux clichés sauvages de son corps nu fondu dans les murs d’un appartement délabré, avant de se taire à tout jamais. Peut-être est-ce cela que nous allons chercher au théâtre, cette chose planquée dans nos ténèbres intérieures, que nous tentons d’éclairer par la parole d’un autre… Le théâtre est cet espace de cruauté, de beauté et de vérité, ce lieu de dévoilement de nos angles morts. Bien entendu, il échoue presque toujours à nous sauver de l’effroi. C’est pour cela que l’on recommence, le lendemain. Et puis le surlendemain encore. Triste affaire ? Non, car chez I/O, on cultive l’optimisme de l’orpailleur : que celui qui cherche ne cesse de chercher jusqu’à ce qu’il trouve ! En ces temps épiphaniques, le logion apocryphe de saint Thomas résonne plus que jamais.

Grâce aux Italiens Deflorian et Tagliarini, dans ce dernier numéro de 2016, nous avons acquis une certitude : le ciel n’est pas une toile de fond. Ne le regarde-t-on pas mieux enfermé entre ces quatre murs ? Le théâtre est l’antichambre de l’au-delà. Il est ce Styx aux eaux sombres qui nous révèle à nous-mêmes, contre une simple obole. Charon est un peu flippant, mais il a le mérite de poser la donnée essentielle du problème : « Qui ne meurt pas de n’être qu’un homme ne sera jamais qu’un homme. » Francesca, grande lectrice de Georges Bataille, a appliqué cette vérité considérable à la lettre. Dont acte. Nous autres spectateurs de théâtre nous contentons d’une mort symbolique. Être ou ne pas être, Shakespeare nous dispense de nous jeter par la fenêtre d’un loft new-yorkais. Le théâtre est l’énergie du moment présent, et la mort est toujours en retard de cet instant précis.