« Les gens disent tout le temps on ne comprend rien à la danse. Mais c’est exactement fait pour ça. C’est un art qui, justement, est juste avant la poésie. Après la danse, les mots commencent à apparaître dans un ordre quelconque » : Jean-Paul Montanari, charismatique directeur de Montpellier Danse depuis sa création, il y a trente-sept ans, invite à penser à nouveau les rapports de force qui font agir les mots ou leur absence, le mouvement et leurs possibles significations. Et c’est bien ce que nous avons tenté de faire dans cette première édition spéciale de I/O dédiée à ce festival mythique. Nathalie Sarraute dit que les mots servent à libérer une matière silencieuse qui est bien plus vaste que le sens lui-même. La où les mots commencent à perdre leur poids narratif et qu’ils ne peuvent plus rien face au trouble de ce que nous ne pouvons pas comprendre, il ne reste qu’à percevoir la lueur féerique de la forme ; le trou noir comme cœur de la pupille. L’inexprimable est pourtant exprimé puisqu’il peut être capté, puisqu’il peut être ressenti. Ce sont les sensations qui dans une salle résonnent ensemble, qui allument la forme et la rendent nécessaire. Parfois, l’acte créatif se situe au cœur et en marge de ces territoires fragiles. Et c’est dans ce non-dit que la danse se révèle comme acte prophétique et donne asile à l’inintelligible. Le prophète est peut-être déjà là, nous attendons qu’il parle et son mutisme devient promesse de toutes les prophéties imaginables. Le non-dit nous détourne d’un récit du futur pour nous entraîner dans un récit du possible. La prophétie muette de la danse n’a rien de la discrète tranquillité du silence mais frappe par la densité de son absence de message littéral. Tout l’enjeu des créateurs d’aujourd’hui – et donc par ricochet des programmateurs – est de savoir éclairer ce qui n’est pas encore. Ce n’est que lorsque les désirs, les idéaux et les conflits éclatent que l’on sait depuis quand ils sommeillent. Qui sait éclairer le latent a une vision du monde.
*Maurice Blanchot