Rien de pire que le spectateur déçu. Privé des pleurs comme Polynice de sépulture, il erre dans la ville de ses espérances déçues le cœur crevé de n’avoir pas vu sur scène la projection de ce qu’il rêvait de devenir : un autre. Mais pourquoi espère-t-il tant de cet art que rien ne relie à la vie que la médiocre factualité des histoires qu’il permet aux hommes de réciter sur le plateau ? Justement pour cela. Parce que le théâtre entretient avec la vérité le même rapport que Jean-Luc Godard établissait entre cette dernière et le cinéma : une histoire d’amour indéfectible. C’est peut-être utopique, mais ici nous pensons que de cette croyance du spectateur naît la possibilité offerte à chacun en regardant la scène de devenir un Homme et de s’éloigner de l’immatérialité de son âme. Cette même immatérialité que Walter Benjamin évoquait si bien lorsqu’il affirmait n’être pas « tout à fait un être réel ». Devenir un autre, devenir réel, donc. C’est cela, le théâtre. C’est cela, et c’est aussi l’opportunité donnée à tous de vivre ses passions. Une forme dématérialisée de ce conjoint qui écoute l’histoire de votre vie et qui, moyennant certaines concessions, choisit de vous croire. Un médium qui permet de donner forme à ces sentiments que les mots précèdent et que nous n’aurions pu éprouver sans eux, comme l’a théorisé Jean Starobinski. Reste alors qu’au terme de la représentation et une fois rejeté sur le parvis de ce Théâtre-Eglise, le spectateur doit apprendre à vivre au-delà de ce qu’il a vu, car « l’individu ne respire librement qu’au moment où il ne peut plus être rejoint », nous dit aussi l’historien suisse. Mais cela, c’est une autre histoire. En attendant, espérons que, cette année encore, le Festival d’Avignon saura nous offrir les pleurs dont nous avons tant besoin pour devenir quelqu’un. Pour devenir un autre.