Se parler plutôt que s’entretuer : le Centre des Arts de la Parole

Nous vivons dans un monde de bruit et de fureur. Un monde de rumeurs, de buzz, de bashings et de clashs. Jamais l’Humanité n’a autant pris la parole. Tout le monde s’exprime. Mais est-ce qu’on s’écoute ? Il faut voir comme on se parle : de plus en plus mal. La parole est souvent vide de sens et pleine de violence. Elle est dégradée. On l’éprouve chaque jour, dans la rue, à l’école, au travail, dans les médias, sur les réseaux sociaux. On confond dialoguer et dégommer. On parle de plus en plus, on se parle de moins en moins. L’autre n’existe plus.

On ne s’écoute plus. On se balance des choses. On réduit la parole à l’éloquence, l’éloquence à la performance, la performance à l’impact – une conception balistique de la parole. À preuve, la prise de parole en public – que je nomme, moi, la prise de public en paroles. L’autre est cible à atteindre, matière à captiver – pur objet. Si l’autre n’existe pas, alors tout est permis. Voici venu le règne du verbe irresponsable.

Il faut en finir avec l’absence d’écoute et la culture de l’humiliation. Avec la perte d’attention et la ruine de la relation. Avec le narcissisme 2.0 et le fanatisme de l’identique. Avec le repli sur soi et l’ultra média solitude. Avec la tyrannie de la distraction et l’asservissement à la connexion – au détriment du lien.

Voilà pourquoi j’ai lancé le Centre des Arts de la Parole. Afin de se parler plutôt que de s’entretuer – se parler pour se relier. Pour former, informer, transformer. Rassembler, rayonner. Pour fédérer. Et grandir ensemble.

Le CAP porte un humanisme de la parole. Pour (ré)apprendre à parler juste. Il vise à revaloriser la parole afin de recréer du lien. Refaire société. Réparer la démocratie. En surmontant la violence. En maîtrisant sa parole. En s’écoutant.

En ce sens, le CAP propose l’art comme solution vitale à une crise cruciale. Première instance dédiée aux arts de la parole, il les conçoit comme des arts de construction collective. Il définit comme les sept arts de la parole le théâtre, le récit et la poésie (arts de la création), l’éloquence et la conférence (arts de la transmission), le dialogue et le débat (arts de l’interaction).

Le CAP réunit ainsi des arts essentiels de l’oralité jusqu’ici dissociés. Il les conjoint en un ensemble organique. La parole s’invente avec la poésie, se construit avec le récit, s’incarne avec le théâtre, s’opère avec l’éloquence, se transmet avec la conférence, s’échange avec le dialogue, se confronte avec le débat. De fait, la parole vit de l’art et dépérit par incurie – dans sa version dégradée le récit dégénère en storytelling, la poésie en slogan, le théâtre en spectaculaire, l’éloquence en punchline, la conférence en novlangue, le dialogue en pilonnage, le débat en clash.

Ces sept arts, le Centre les promeut comme les sept piliers de la parole, ceux qui la fondent dans tout son sens et toute sa puissance. De leur pratique peut naître une parole juste, sensée, incarnée, reliée, responsable. Apprendre à les maîtriser, c’est œuvrer à réaliser son humanité dans sa transversalité.

Pour incarner ces diverses dimensions de la parole, j’ai doté le Centre des Arts de la Parole d’un conseil réunissant 21 personnalités du monde de l’art, de la culture et de l’éducation – de Cynthia Fleury à Sofiane Zermani, Jean-Pierre Siméon, Odile Sankara, Jacques Martial, Karol Beffa, Éliette Abécassis, Kouam Tawa, Laurence Engel, Hind Meddeb, Anne-Sylvie Bameule, Hakim Bah…

Créé en 2022 à Aubervilliers, au-delà d’un lieu le CAP est un mouvement. Artistique et citoyen, francophone et multilingue, à vocation nationale et internationale, il intervient dans tous les espaces et vise à fédérer toutes les bonnes volontés : citoyennes et citoyens, collectivités, institutions, entreprises, associations. À leur intention il développe des programmes d’actions : des créations, des publications, des formations. Pour comprendre, sensibiliser, transformer.

Quintessence de ces enjeux, en 2024 le Centre des Arts de la Parole créera les États généraux de la parole. Il invite ainsi tous les publics à participer à la démarche qu’il déploie sur tous les territoires afin de valoriser la parole ensemble.

Gérald Garutti est metteur en scène, écrivain et dramaturge. Il est le fondateur et directeur du Centre des Arts de la Parole et l’auteur de “Il faut voir comme on se parle. Manifeste pour les arts de la parole” (éditions Actes Sud, 2023).