L’histoire d’un amour

Un amour impossible

« Mais à travers la connaissance que j’en ai, je voulais écrire ce que c’est avoir une mère. » Ne nous méprenons pas sur les mots de Christine Angot ; il n’est pas question pour elle dans son roman « Un amour impossible », paru en 2015, de raconter son histoire ou d’écrire « sur » sa mère. Les possessifs sont à exclure et c’est une relation indéterminée parce que universelle qui se joue entre Maria de Medeiros et Bulle Ogier, très justes dans les glissements temporels et psychologiques qu’impose la dramaturgie. De facture classique, la mise en scène de Célie Pauthe incarne l’intime de cette relation dans des lieux de vie et de (non-)parole, témoins de l’époque d’où se place le discours. L’incommunicabilité croît, nourrie par les changements de maisons et de noms ; la perte de l’identité comme déclencheur du vide des mots.

Construite par flash-back, la pièce se joue dans les sous-textes, et ce qui transpire de ce qui n’est pas dit et de ce qui est hurlé alimente l’humus propice aux ressentiments et aux différents masques de l’amour maternel. En assistant à ce tête-à-tête sans fin, comment ne pas rejoindre Angélica Liddell quand elle assène que la pire chose pour un enfant est de côtoyer ses parents ? Que celle qui aime son enfant devrait l’abandonner à la naissance pour ne pas lui transmettre ses névroses et éviter ainsi de le transformer en Atlas, épuisé, cherchant désespérément à poser son fardeau ? Il ne parviendra pourtant qu’à le transmettre à son tour, participant ainsi à former une armée d’âmes écorchées et tentant, dans un acte magnifiquement désespéré, de le sublimer.

Commencer par la révélation est un moyen subtil de ne pas faire du suspense un enjeu. Il ne s’agit pas de savoir, ni même de comprendre, mais de constater. Le sujet central du livre, l’inceste, se décale dans cette adaptation théâtrale signée par l’auteur, pour se concentrer au plateau sur la relation mère-fille. L’enjeu est bien comment sortir de sa mère (Pierre Notte évidemment) et non plus comment ni même pourquoi dénoncer le père, l’évidence du crime n’étant plus à prouver.

Pas de pathos donc, mais une vivisection du réseau complexe de nerfs qui anime ce lien. Et c’est là tout l’intérêt et la modernité de cette proposition : interroger la responsabilité de celle qui ne dit rien, de celle qui ne voit pas et non revenir buter, comme un acte militant basique, sur la culpabilité de celui qui a fait.