Jeux de mains

Dark Matter

© Luc Massin

Marathon McIntosh au Kaaitheater, où l’artiste néo-zélandaise, accueillie en résidence dans le théâtre belge pendant quatre ans, proposait trois performances en une semaine. « Dark Matter », la plus ancienne d’entre elles (2009), est toujours un beau tour de force.

Science de la scène et scène de la science : toutes deux s’emboîtent mal et s’acoquinent peu. Les domaines se contemplent et ne s’approchent pas, leurs logos sont hétéroclites et leurs éloquences parfois contradictoires. Kate McIntosh illumine avec brio ladite inadéquation :  voilà la science téléportée sur un plateau aux airs de cabaret strass et paillettes – habillée de mauvais goût théâtral ? La performeuse est la reine du gala : tentant d’agencer quelque discours scientifique en milieu hostile, elle multiplie progressivement les apories… Peut-on parler théoriquement et publiquement de science ? Peut-on fonder une épistémologie utile ? Et avec les discours pseudoscientifiques qui s’enchaînent, une autre réflexion s’éveille : celle du discours sur la science, qui peine à pénétrer nos vies. Obscure et labile, ne recouvre-t-elle pas immédiatement ce qu’elle découvre d’un linceul de vérité ?

Il faut donc s’équiper de matière pour qu’elle devienne consubstantielle de nos corps quotidiens : voilà à présent, pour épauler la présentatrice, deux assistants hilarants qui s’adonnent à leurs piètres expériences. L’un fait des tests psycho-scientifiques avec des verres et des ballons, l’autre recherche le noir absolu dans un sac, les deux courent et s’essoufflent cordes et planches en main… Que font-ils sinon se perdre dans leurs science – et dispenser le spectateur d’un amour enfantin pour le ludique : ce qui réunit peut-être la scène et la science ? Faute de comprendre, on s’amuse. Rare talent d’œuvrer à merveille au surgissement des images : Kate McIntosh enchaîne situations gaguesques, pseudo-night show et poésie visuelle et sonore (la magnifique scène du changement de dimension). En décomplexant la matière, « Dark Matter » aura entraîné son spectateur à l’enchantement de n’y rien comprendre.