Mouvement perpétuel

Scala

© Géraldine-Aresteanu

Le 11 septembre dernier avait lieu la réouverture de La Scala, l’une des plus anciennes salles de spectacles parisiennes. C’est pour cette occasion que Yoann Bourgeois a imaginé sa dernière création : « Scala ».

Un acteur entre sur scène par une porte qui grince. Jean, t-shirt blanc et chemise à carreaux, déambule de gauche à droite, s’affaire à quelques tâches dont on ne comprend pas bien l’objectif, puis enfonce un disjoncteur immense : le bleu du théâtre éclabousse l’entièreté du décor. Le défilé commence, du lit à la commode, de la commode à la chaise, de la chaise à la table, d’un acteur à l’autre, une seule et même action, un seul et même costume.

Des escaliers jonchent le milieu de la scène et n’en finissent pas de monter. Vers où mènent-ils ? Nous n’en saurons jamais rien, et après tout, la question est dérisoire, car « Scala » est avant tout un perpétuel recommencement. À l’image de ce jouet en bois articulé à l’aide d’un simple bouton-poussoir, les acteurs danseurs deviennent des wakouwas humains l’espace de cette parenthèse philosophique. Ils montent et descendent ces escaliers mystérieux, se jettent dans le vide pour remonter, inlassablement. Ils font des tours, des ronds, entrent à gauche, sortent à droite, par le haut, par le bas, surgissent d’une porte au milieu de nulle part pour disparaître par une ouverture au sol.

« Mais qu’est-ce que tu en as fait ? Elle n’a pas pu disparaître ? » Les questions et les tentatives de réponses se superposent dans l’univers sonore emprunté au rewind, procédé également utilisé par Radiohead, qui signe la bande-son du spectacle avec l’album « A Moon Shaped Pool ». Mais que cherchent-ils ? De quoi tentent-ils de se débarrasser ? Pourquoi est-ce si difficile de comprendre leurs gestes ? C’était pourtant si simple de se laisser tomber en amour de cette poésie au Panthéon. Pourquoi est-ce si différent ? Non, je ne veux pas voir le même spectacle, mais je veux aimer ce que je vois, seulement la répétition m’embue les yeux, et je n’y vois plus très clair jusqu’au moment où…

Ce tumulte en face de moi finit par m’évoquer cette quête d’identité si banalement humaine, cette dystopie entre Moi et la société, Moi et la réalité. Je suis en plein univers parallèle, j’existe à plusieurs endroits en même temps, je ne suis nulle part vraiment. Je nais, je meurs et jamais je n’en verrai la fin. Pont à double sens entre le réel et l’imaginaire, au milieu, « le temps qui passe dans tous les sens » nous dit l’auteur. Ces mains sorties du sol que l’on tâche de balayer rappellent le bruit du monde que j’aimerais tant faire taire pour pouvoir m’écouter juste une seconde.

Ce tumulte, c’est certainement ce que l’on vit en soi quand on crée cet univers en deux fois deux semaines au milieu des marteaux-piqueurs et de la poussière d’un chantier jusqu’au matin de la première. Yoann Bourgeois, connu pour investir des lieux insolites, se sent à l’étroit dans les théâtres, leurs couloirs le bouleversent ? Mais La Scala n’est pas un théâtre comme les autres pour le chorégraphe, son rapport aux artistes, son modèle économique le poussent à accepter d’y créer quelque chose à partir d’un néant physique. Tout n’est qu’imaginaire à la base, rien d’autre qu’une idée pour inspiration.

Les longueurs de cette réflexion existentielle sur le temps et le Moi n’auront pas eu raison de mon envie d’embrasser pleinement le sujet : il semblerait que ce ballet doive être digéré et non englouti d’un coup. Tout caractère de nouveauté écarté, je trouverai certainement un nouveau sens aux mouvements invraisemblables de Valérie Doucet et ses comparses sur la scène de ce dernier-né parisien.