Myriapode

Hybridity

© Klaus Fröhlich and Alessandro De Matteis

Hybridité, certes : entre le muay thaï et le ballet romantique que Rafaële Giovanola, en adepte du mélange des genres, consacre avec brio. Hybridité encore : entre six paires de jambes dont la mobilité n’a de synonyme que la saccade – non sans rappeler le très beau « Vis Motrix ».

Car voilà un groupe de danseurs, tous revêtus d’opaques collants argentés, qui avancent ensemble dans une synchronicité toujours ahurissante chez la chorégraphe : ils se libèrent de leur cocon au lointain de la scène avant de s’aventurer dans l’espace blanc immaculé que les lumières de Boris Kahnert et Peter Behle mettent habilement en mouvement. Seules les jambes des interprètes parlent et dansent : elles tentent si bien de s’accorder qu’à force, on dirait qu’elles forment comme un grand organisme à douze pattes. La plupart du temps, ces pattes restent solidaires les unes des autres ; parfois tout de même, l’une part subitement en solo tandis que les autres, gigotant plus discrètement sur un côté du plateau, continuent leur tentative d’être ensemble. Douze pattes il y a, certes, toujours très arachnéennes ; mais le cerveau, lui, est moins agile : voilà la vis motrix, la force motrice que la chorégraphe recherche encore dans « Hybridity ». Faire unité dans le chaos, s’assembler sans s’achever.

C’est donc tout un chemin d’émancipation pour l’organisme science-fictionnel que créent les danseurs : à force de mouvements, il se découvre une liberté de plus en plus dense. Quitter le groupe n’est pas s’en séparer pour autant ; se départir de l’ensemble n’est pas rédhibitoire pour autrui. Mais surtout, d’autres membres se dévoilent : hanches, ventre et dos sont à présent disponibles… Et plus que tous les autres, les bras qui, comme en miroir des jambes, deviennent un nouveau moyen de se synchroniser (à six ou à douze, c’est selon) dans un moment chorégraphique plutôt hallucinant. Quoi qu’il en soit, « Hybridity » est un spectacle hypnotique comme il y en a peu : l’esthétique glaciale, glaçante, rythmée par la musique de Franco Mento, se mêle harmonieusement avec l’exigence du mouvement, créant une forme d’entomologie dansée, un troublant ballet pour myriapode.