Si opéras et comédies musicales offrent parfois à voir de fabuleux voyages à travers l’espace, peu d’entre eux présentent des explorations temporelles à reculons. David Lescot, constatant peut-être la niche dans le marché, choisit de dérouler l’histoire d’une femme moderne qui s’explore en remontant dans son passé ; un récit façon « Retour vers le futur » mais avec notes de musique et pas chorégraphiés. La tentative de mêler l’exploration dramaturgique du temps avec un univers musical codifié donne naissance à un objet étrange : inégal par endroits, bourré de bonnes intentions à l’effet un peu tarte à la crème, « Une femme se déplace » trouve à certains moments une poésie étrange, subite, qui flotte le temps de quelques accords sur lumières tamisées.
Car il y a, cela est certain, un travail musical remarquable derrière cette entreprise. L’excellent quatuor composé de Ronan Yvon (guitare), de Philippe Thibault (basse), de Fabien Moryoussef (claviers) et d’Anthony Capelli (batterie) est une formation très malléable en termes de style. Si la toile de fond de beaucoup de scènes et airs est tissée de structures rythmiques et harmoniques jazz, l’écriture varie souvent. Elle emprunte parfois à la tradition mélodique française incarnée au cinéma par Michel Legrand, par exemple ; à d’autres moments, elle se rapproche plus d’une scansion de texte de rap. L’alternance souvent rapide entre les scènes – voire, à l’intérieur de celles-ci, entre passages parlés et chantés – démontre le talent musical de la troupe aux capacités hétérogènes qui réussissent joliment à faire corps.
Là où l’intérêt se délite est la fable elle-même, objet souvent prétexte à la musique qui devient ici le manifeste – presque malgré lui – d’une réflexion sociale manquant de profondeur. En soi, que n’a-t-on pas déjà dit des affres de la vie moderne ? De la sexualité, des foyers compliqués, des élans militants de la jeunesse ? S’il reste peut-être à creuser, les incessants va-et-vient d’un personnage voyageant par soubresauts dans son histoire vécue n’offrent qu’une perspective de champ limitée. On pique çà et là des réflexions adolescentes du type « – Elles servent à quoi, vos manifs ? – Moi je me sens étrangère à moi-même, mais j’y vais pour me dénoncer », ou encore « J’ai entendu dire que les ultragauchistes étaient souvent érotomanes, comme les ultracatholiques ».
Quelques moments perdus dans le balancement pensif des cordes électriques laissent à penser qu’un autre niveau de lecture est envisageable, plus ironique et autocritique, qui s’amuserait à présenter les codes bien connus du théâtre musical pour mieux dénoncer ses prétentions de vernis moral. Mais l’enchevêtrement des scènes et, surtout, le point de fuite final évacuent presque toute possibilité de creuser ce sillon. La mise en scène lui préfère de petits effets de caricature passagère bien dans l’air du temps. En fin de compte, il est difficile de savoir si le propos de ce parcours d’émancipation se veut radical ou non, ou même entre les deux, tant la pièce semble bloquée dans les limbes qui séparent l’intention auctoriale de l’effet réel, assumant à moitié la richesse de son potentiel comique et affadissant la valeur de certains commentaires métadiégétiques. L’œuvre, comme son sujet, présente les symptômes d’une maladie bourgeoise, avec ses éternels borborygmes d’idéologie libérale, et il n’y a pas forcément matière à s’en irriter puisque ici aussi peut résider une forme de poésie secrète.