© Yaniv Cohen

En Tupi, l’une des langues indigènes au Brésil, Pororoca décrit le bruit du fleuve Amazone quand il rencontre la mer. Nororoca, quant à lui, ne renvoie à rien, sinon que la Norvège est plus proche du Brésil que l’on ne croit : à une lettre près, pour ainsi dire. D’une mer l’autre, d’un fleuve, un fjord : à l’invitation de la compagnie scandinave Carte Blanche, la chorégraphe Lia Rodrigues imagine un affluent nordique à son spectacle « Pororoca », créé en 2009. Soit un groupe de vikings hauts en couleurs – au sens propre et figuré – pour qui le plateau est le terme d’un long voyage à travers les pays, comme un écho au processus de création. Ils ont avec eux leurs restes de propriété : vêtements et autres broutilles. Mais avant que l’association entre la scène et le refuge n’ait eu le temps d’y cristalliser des réfugiés, les danseurs envoient tout valdinguer et troquent la gravité pour un chaos ludique qui occupe la plupart du spectacle : en fait, la maison est un vaste terrain de jeu. Épuisée quand elle ne se meut pas, voilà que la bande s’amuse exagérément, à la limite de l’idiotie, non sans rappeler un magnifique film de Lars Von Trier. 

Mais si chez le réalisateur danois, le devenir-idiot était motivé par une expérience new age moins risible que prévue, chez la chorégraphe brésilienne, il s’agit surtout de changer les règles des différents jeux : une fois bordel anarchique – chacun fait ce qu’il veut -, une autre fois grimaces au ralenti, une autre encore, imitation de la faune lors d’une parenthèse rêveuse. Von Trier cadre le chaos par le scénario, Rodrigues par le rythme : à deux disciplines, deux méthodes, certes. Sauf que la chorégraphe, se privant d’une intention maîtresse, ne tient pas vraiment la durée : les enfants qui descendent au toboggan (même s’ils sont nombreux, même s’ils sont sportifs) finissent toujours par épuiser l’attention de l’adulte qui les attend… Entendre ici le public qui, tristement exclu de l’univers ludique, se contente d’observer  « tout ce qu’on peut faire » quand il n’y a rien à faire. Si bien que « Nororoca » fait probablement partie des chorégraphies plus jouissives à pratiquer qu’à regarder : il fait meilleur du côté du plateau que de de la salle qui, s’excusant de l’infranchissable quatrième mur, est cantonnée à surveiller les idiots.