© Philippe Lebruman

« La vengeance est un plat » — probablement l’un des plus beaux titres de spectacle vu ces dernières années —, comme d’habitude avec la compagnie du Zerep, n’adapte pas vraiment ce dont il prétend s’inspirer : en l’occurrence ici, l’ultra sanglant « Titus Andronicus » de Shakespeare. 

D’ailleurs, on parle ici, en sous-titre, de « Titus et André Nicus » : l’humour est toujours au ras des pâquerettes et Sophie Perez, on le sait, aime aller au plus grossier, au plus vulgaire, dans une veine transgressive à puissance variable, selon les spectacles. Peu importe Shakespeare, du moins en apparence : de toute façon, « on le fait pas » répète Stéphane Roger alors que l’entracte est annoncé trois minutes après le début du spectacle. Mais ce serait (un peu) mentir, car le fil rouge, certes coupé en mille morceaux, réapparaît sous forme de sketches surréalistes et, difficile de faire autrement, inégaux : ils sont les plus efficaces quand ils sont les plus ludiques, au sens littéral du terme — à l’image de la fin, impossible à dévoiler mais qui contient en quelque sorte l’âme du spectacle, probablement un peu celle du Zerep aussi, sous forme de ritournelle affreusement bête et jouissive qui ridiculise et magnifie en même temps la notion de vengeance. Dommage que d’autres séquences, elles, s’épuisent un peu, en reléguant l’esthétique belle et moche en même temps – voilà qui est séduisant -, derrière du discours, d’un coup bien moins joueur, qu’il s’agisse des parties écrites par Sophie Perez ou par Pacôme Thiellement, dont on pense pourtant le plus grand bien, mais qui ont tendance à « pacifier » le plateau.

Car en réalité, l’intérêt du spectacle réside surtout dans le conflit absolument chaotique entre les petits personnages habitant le monde du plateau et la langue monolithique de Shakespeare, qui semble complètement les dépasser, les horripiler, tout en les forçant à agir. Or, c’est quand les premiers semblent tirer parti de ce conflit à couteaux tirés que le spectacle excelle : que l’on assiste aux simples refus d’obtempérer de la part des clowns lors du vrai-faux entracte, des scènes plus développées de l’intrigues de « Titus Andronicus » détricotées jusqu’à l’os et gaguesques à souhait, ou des « jeux shakespeariens » auxquels ils finissent par s’adonner comme des enfants de Dada, les instants les plus fins sont ceux qui restent sur une ligne de crête et de défiance face à l’auteur qu’ils regardent de biais… Si bien qu’on voudrait peut-être que « La vengeance est un plat » s’engouffre encore plus radicalement dans cette « anti-adaptation », en contestant continuellement l’intrigue de la pièce originelle, pour que jamais elle ne s’abîme, comme c’est le cas à quelques instants, heureusement rares, dans l’exégèse superfétatoire de son propre objet.