© Pierre Planchenault

Nous avions eu le plaisir de voir les prémices de ce travail lors du dernier et regretté Festival de la Ruche au Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine. Jules et Luis Sagot ont poursuivi leur cheminement pour nous livrer sur le plateau du studio de création un travail intime et sensible qui rejoue chaque soir la cérémonie d’un amour fraternel éclatant.

Quelle est la part d’improvisation ? Quelle est la part de jeu ? En réalité, peu importe, car ce qui se joue entre ces deux êtres nés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre et que le destin a voulu rassembler ne s’embarrasse pas de mots. S’ils proclament leur amour à coups de grandes déclarations immensément naïves mais profondément sincères, on sait que le véritable amour qui les unit est ineffable ; il se manifeste discrètement par des gestes presque invisibles pour le spectateur, des mouvements du corps et des yeux qui encouragent, qui enlacent et qui transcendent. L’un, Luis, adopté au Mexique et échoué en Normandie, développe ses talents au rythme des pales de « l’hélicoptère » – nom qu’il attribue à son handicap – tandis que l’autre, Jules, veille sur son frère en proie aux moqueries de ses camarades. Jules est devenu un professionnel de la comédie, habitué aux projecteurs et à la lumière ; Luis fuit la lumière pour réussir à dire ce qu’il a sur le cœur. Et pourtant Jules laisse ici toute la place à son frère dans un geste d’amour, plein de tendresse et d’humour et lui permet de déployer ses ailes dans sa supra-réalité poétique. La fraternité, réduite parfois au statut de simple slogan, peut parfois résonner à nos oreilles, devenues lasses et indifférentes, comme une vaine parole ; or, ici, les frères Sagot lui redonnent toute sa vigueur et l’on voudrait avoir inventé cet amour fraternel si la vie ne s’était chargée de le faire. Une dernière chose : je crois que ce soir-là, c’est la première fois que j’ai entendu un Nocturne de Chopin joué aussi maladroitement, et c’est aussi la première fois que je l’ai trouvé aussi beau.