(c) Mathilde Delahaye

Dans un spectacle qui mêle danse, théorie filmique et histoire d’amour avec autant d’intelligence que d’humour, Daphné Biiga Nwanak et Baudoin Woehl nous montre le pouvoir consolateur de l’art.

C’est au détour d’une promenade sur Wikipédia que Daphné Biiga Nwanak et Baudoin Woehl découvre le nom de Maya Deren, réalisatrice, technicienne, théoricienne et figure majeure du cinéma underground américain des années 1940-1950. Coup de foudre instantané. Les deux artistes avalent ses films et écrits théoriques et décident, dans un grand écart qui pourrait en irriter plus d’un·e, d’opérer un parallèle entre l’oeuvre de Maya Deren et celle de Beyoncé. Car qu’est-ce qui pourrait mettre sur le même pied l’inventrice de la vidéodanse et la popstar la plus connue au monde ? Au risque d’être trop intellos pour certain·es et trop populaires pour d’autres, Daphné Biiga Nwanak et Baudoin Woehl répondent : la danse, justement.

Ce va et vient entre culture populaire et culture académique irrigue la totalité du spectacle, ce qui à première vue peut le rendre déroutant, parfois difficile à suivre pour qui ne s’en donnerait pas la peine. Il y a pourtant quelque chose d’intensément réjouissant dans ce pas de côté. Relier Beyoncé et Maya Deren par la chorégraphie, c’est non seulement faire se télescoper deux mondes mais aussi s’inscrire dans un continuum d’artistes — ici, préciserons-nous, d’artistes femmes — qui peuvent aider à vivre. Oui, nous disent Daphné Biiga Nwanak et Baudouin Woehl, on peut se remettre d’une rupture en refaisant encore et encore la chorégraphie de « Single Ladies » dans sa chambre ; on peut aussi trouver la consolation dans un texte théorique du siècle dernier. Sans décider que l’un vaut mieux que l’autre. Peut-être même qu’au fond, on peut avoir besoin des deux. Voire même, qu’on pourrait aimer “Twilight” et Bourdieu.

Ce continuum de figures féminines qui aident à vivre est particulièrement remarquable dans ce qui nous a frappé comme le moment le plus émouvant du spectacle. Alors qu’elle reprend une nouvelle fois la chorégraphie de Beyoncé, la danseuse Anna Chirescu se lance dans une longue énumération de prénoms de femmes qui n’est pas sans rappeler celle des « Guérillières » de Monique Wittig. De prénoms uniquement, d’artistes, de militantes, qui n’ont plus besoin de nom de famille pour évoquer immédiatement quelque chose et qui forment une armée intime.