© Pierre Planchenault

Deux êtres fracassés, l’un physiquement (la mère), l’autre mentalement (le fils). Deux êtres qui tentent de reconstituer le fil d’une histoire commune.

Il y a du Clov et du Hamm chez ces deux êtres marginaux propulsés sur le devant d’une scène. Le fils, incarné par Jérémy Barbier d’Hiver – qui est aussi l’auteur de ce petit texte –, tente, dans les moments d’éveil de sa mère, de faire renaître la figure d’un père disparu dans les abîmes de la mémoire. Alors il a besoin qu’on lui raconte une histoire, celle de sa naissance. « Il faut finir avant que tu repars », crie-t-il à sa mère, avant que cette dernière ne sombre à nouveau dans un apathique silence. Le fils n’a pas les mots pour dire l’amour, pour dire ce qui a été et ce qui sera. Ce cœur empli d’amour et débordant de joie court, saute et s’agite quand la parole bute sur le mur de l’ignorance. Comment dire l’amour quand les mots nous manquent ? Le personnage incarné par Jérémy Barbier d’Hiver emporte sans réserve l’adhésion empathique du spectateur, non pas parce qu’on pourrait avoir de la compassion pour un être faible et limité, mais parce que ce garçon nous renvoie l’image de notre propre incapacité à dire l’amour. Julie Teuf incarne de son côté une mère puissante mais physiquement diminuée. L’interprétation brillante de la comédienne permet à ce bloc de colère immobile, enfoncé dans un fauteuil qui ne roule plus, d’exister face aux mouvements virevoltants du fils. Ces deux êtres solitaires qui tentent de combler le silence par des vains mots comprennent finalement que leur amour ne s’embarrasse pas de paroles. Inutile de raconter des histoires et des mensonges, car l’amour véritable est ; il n’a pas besoin d’être dit. Souhaitons que ce petit texte né sur la scène de l’ESTBA (École supérieure de Théâtre de Bordeaux Aquitaine) puisse prendre son essor. Jérémy Barbier d’Hiver et Julie Teuf ont su donner vie à ces êtres cabossés que l’on se surprend finalement à aimer presque comme des cousins pas si lointains.