Des femmes debout

Zig Zig

(c) Ruud Gielens

Issue de la scène indépendante égyptienne, Laila Soliman s’attaque avec « Zig Zig » à un pan de l’histoire égyptienne tragiquement passé sous silence. En 1919, dans le village de Nazlat al-Shobak, en pleine rébellion contre l’armée britannique, qui occupe le pays, des femmes élèvent la voix et annoncent qu’elles ont été violées par des militaires. S’ensuit un procès où le pouvoir en place, intégralement masculin, tentera de les faire taire. Basé sur les archives judiciaires, « Zig Zig » donne la parole à ces femmes mais aussi aux hommes qui ont tout fait pour les discréditer, mettant en lumière les mécanismes d’oppression systémique et de culture du viol, aussi vivaces en 2017 qu’en 1919.

On ne peut que se réjouir que les problématiques liées aux femmes et au féminisme soient de plus en plus présentes sur les plateaux de théâtre. Malheureusement, on grince souvent un peu des dents quand un bonhomme qui, de fait, connaît moins bien le sujet, agite les ficelles ou pire, débarque sur scène pour recentrer le débat sur lui (ici nous ne citerons pas de noms, mais une liste est tenue à la disposition de celles et ceux qui seraient intéressés). Alors on commencera par faire une ola pour Laila Soliman, qui, si elle s’est certes adjoint les services de Ruud Gielens à la direction d’acteurs, a choisi une distribution intégralement féminine. Mona Hala, Reem Hegab, Sherin Hegazy, Zainab Magdy et Nancy Mounir prêtent leur voix non seulement aux femmes violées, mais aussi aux hommes intervenant dans l’affaire.

Une fois cela posé, il s’agit alors de montrer au public combien il est facile de mettre en doute la parole des victimes. Le système oppressif, à force de questions orientées, finit par faire douter les victimes elles-mêmes, qui reviennent sur leurs déclarations et passent du statut de plaignantes à celui de suspectes. Au-delà des questions féminines et féministes, c’est aussi toute la réécriture officielle de l’histoire d’un pays qui est pointée du doigt. L’histoire est écrite principalement par les hommes et pour les hommes, mais aussi par les puissants au détriment des plus faibles. L’autorité en place qui recentre les débats sur ce qui l’arrange et gomme les parties qui lui sont embarrassantes, voilà ce qui nous est aussi montré sur la scène du Nouveau Théâtre de Montreuil. On redécouvre, horrifiés, que le pouvoir dicte bien des choses, y compris sa vérité propre.

Le drame auquel on assiste passe également par la musique et par le corps des interprètes. Quand les mots les trahissent, il reste encore le geste, ces corps douloureux qui dansent au son déchirant d’un violon, la musique, les chants. L’art est tout à la fois le baume qui panse les plaies et l’ultime façon de s’exprimer quand on vous l’interdit. Cette heure et demie de représentation passe en un souffle, on en ressort révoltés et en ayant appris quelque chose. « Zig Zig » est une œuvre totale, un spectacle indispensable et magnifique auquel on repensera longtemps. On attend déjà impatiemment les prochaines pièces de Laila Soliman.