Au Wiels, un “Musée absent” bien ancré dans la réalité du monde

Le musée absent

Au Wiels, ainsi que dans deux bâtiments voisins, s’interrogent les enjeux et les contenus d’un grand musée d’Art contemporain installé dans une métropole aujourd’hui. Une très riche exposition temporaire qui regroupe une cinquantaine d’artistes internationaux – parmi lesquels des fidèles du lieu – s’impose comme un support pertinent des grandes problématiques du monde actuel. L’art y interpelle. Il invite moins à l’évasion qu’à la réflexion.

Tout en hauteur et gris bétonné, l’édifice principal qui fut autrefois la brasserie Wielemans renferme dans ses vastes espaces postindustriels une collection gigantesque et éphémère. À l’opposé des salles nues et aseptisées qu’a peintes Luc Tuymans pour l’événement, il s’y trouve une quantité non superficielle d’œuvres aux sujets explosifs, parfois controversés voire réprimés, qui agitent le débat public dans nos sociétés divisées et troublées. Ces thématiques appartiennent autant à la Belgique que plus largement à l’Europe et au monde multiculturel et globalisé.

La question de la représentation d’une actualité universellement dramatique ne cesse d’être posée. Dès la première salle où s’expose la série « Pixel-Collage », de Thomas Hirschhorn, s’examine la position du regardeur devant la réalité atrocement crue d’images immenses et soumises à la technique de pixellisation qui camoufle autant qu’elle laisse deviner la violence du propos flouté et ainsi filtré.

Le visiteur est confronté à des rapports au monde souvent pessimistes, alarmistes, dénonciateurs, à des gestes, des visions qui évoquent la souffrance, la guerre, les inégalités sociales, la perte des valeurs, la marginalité, la concurrence, la déshumanisation. S’affiche une complexe « digestion » du passé : l’histoire coloniale traverse l’œuvre de Sammy Baloji, le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, le travail de Felix Nussbaum. Éminemment empreinte d’un sentiment tenace de peur de la persécution, l’œuvre du peintre judéo-allemand se voit réhabilitée. Après l’arrivée de Hitler au pouvoir, l’artiste avait trouvé refuge avec sa femme à Ostende puis à Bruxelles avant d’être déporté et de mourir à Auschwitz en 1944.

Également inspirée par l’avenir, l’exposition questionne le modernisme, la foi dans le progrès comme l’inévitable déliquescence de l’humain, dont le travail s’oriente vers le profit et la rentabilité économique. Le photographe Christopher Williams capture les fétiches capitalistes de la consommation, tandis que les mannequins grandeur nature d’Oscar Murillo figurent des travailleurs prenant l’allure d’épouvantails à oiseaux dérisoires et effrayants.

Au fond du Métropole, Mark Manders installe la tête colossale et fracturée d’une statue antique grand format qui repose encadrée de gravats, de bâches en plastique, de murs de pierres taguées et d’échafaudages offrant un écrin en état d’abandon.

« Le Musée absent », c’est à la fois un retour sur dix ans de programmation au Wiels et la préfiguration d’un futur musée à Bruxelles. Cette exposition spéculative, parfois énigmatique, hermétique mais d’une nature indéniablement forte, pour sa valeur aussi bien poétique que critique, se fait interrogation de l’absence mais surtout démonstration incroyablement dense du potentiel de l’art pour réfléchir la cité.