Nous espérons de vivre

Pur présent

© Christophe Raynaud de Lage

Quand Olivier Py crée à partir de ce qu’il connaît, son écriture textuelle et scénique dévoile une poésie de haute tenue. Les premiers pas de « Pur présent », au sein d’un univers carcéral avec lequel le metteur en scène a beaucoup travaillé, sont de qualité et nous promettent beaucoup. Mais, comme par fatigue, Py se prend immanquablement les pieds dans les chaussettes et détruit son propre geste par excès de lyrisme.

Le triptyque sur lequel est construite la pièce pose une question radicale : comment vivre dignement ? Cette problématique est loin d’être nouvelle, et sa confrontation avec les angoisses existentielles autour de la fin de l’histoire ou encore la technique a envahi la scène de manière exponentielle. Cette année, à nouveau, Wajdi Mouawad nous a offert avec « Notre innocence » une performance somptueuse qui proposait non seulement de rassembler les mots de la jeunesse mais encore de repenser les codes mêmes de la représentation théâtrale pour, finalement, formuler un début de réponse. Dans « Pur présent », la quête s’essouffle et la force brutale tourne court au deuxième tableau, où Olivier Py s’enfonce progressivement dans une critique facile des forces malfaisantes de ce monde. « L’argent », titre de ce nouveau segment, a même le droit à ses dix commandements du capitalisme, signe ultime d’une certaine complaisance à pointer du doigt ce qui fait consensus sans vraiment en tirer toute la substance. Pourtant, la pièce cherche encore à se défaire d’une morale binaire et souhaite tenir ensemble – autant que faire se peut – les contradictions d’un monde désenchanté dont la violence est l’instrument à la fois de la laideur et de la rédemption.

Les choses se gâtent au seuil de l’ultime partie. La robustesse du texte s’évapore pour ne laisser place qu’à des bribes d’idées mâchonnées et à un flot irrégulier d’images poétiques douteuses – comme celle d’un interrupteur céleste qui ferait tanguer les cieux entre nuit et sang. La dynamique des trois acteurs, qui occupaient l’ensemble d’un espace ouvert à la manière d’un ring, se fige abruptement. La présence si singulière de Nâzim Boudjenah pendant les deux premiers tiers du spectacle s’évanouit, laissant derrière elle une étrange blessure dans la trame du récit, qui s’étiole par endroits et se fossilise par d’autres. Le présent persévère à tenir l’être en cisailles en remettant en question sa possibilité de rêve et d’action ; mais rien de tout cela n’est vraiment satisfaisant. Non seulement, après plus de trois heures, aucun balbutiement de réponse n’advient, mais encore le questionnement initial résonne désormais bien creux. Rien n’arrive, rien n’est différent, rien n’est transformé.

C’est Olivier Py lui-même qui s’inflige cette peine en refusant de dépasser ses propres a priori sur la morale qu’il assène comme une éternelle forme d’interdit. Au contraire, c’est précisément lorsque le metteur en scène choisit des moyens détournés qu’affleure le sens profond de sa pensée. Celle d’une revitalisation de la lutte avec un présentisme depuis lequel tout part mais aussi vers lequel tout converge. C’est quand le réel est trouble qu’il nous transperce de sa clarté et c’est quand on force sur lui une idéologie monocorde – celle du sauveur masqué et de la foule populaire, quelque peu attendue – qu’il se complaît dans sa stérilité.