“Bienvenue à la nuit américaine, là où mordent les chiens en quête d’une voix, d’un visage, d’un destin et de gloire, pour être apprivoisés par la nuit” : avec cette citation de Jim Morrison en exergue du programme, le ton est donné pour ce nouveau projet de théâtre immersif créé d’après une idée de Dot Pierson. Inspiré par le performatif déambulatoire libre de la référence du genre, “Sleep No More“, “Heroes” reconstitue, le temps d’une soirée unique, l’ambiance d’un cabaret fantasmatique dont les fantômes des héros pop viennent peupler les alcôves.

Tout commence par une séquence introductive un peu brouillonne, qui pouvait laissait présager d’une nouvelle tentative de défriser les vingtenaires hipsters du Bus Palladium par de l'”expérientiel” (dixit, mot détestable mais quelle alternative ?) à peu de frais. Heureusement, une fois le top départ donné – qui signifie très concrètement le lâchage des spectateurs dans les différents espaces du club après l’instruction de rester (le plus possible) silencieux – le scepticisme s’évanouit. S’y substitue la sensation de liberté laissée à chacun de s’approprier l’espace, et surtout d’interagir avec la cinquantaine de personnages sillonnant la nuit palladiumesque pendant près de trois heures : de Jimi Hendrix à David Bowie, en passant par Lou Reed, Allen Ginsberg, Elton John ou encore Bob Dylan.

L’équilibre entre saynètes publiques (la mort puis la ressuscitation d’Andy Warhol, entouré de ses groupies lubriques !) et moments intimistes s’est avéré ici parfaitement dosé. S’il faut parfois se contraindre à des files d’attente brisant quelque peu la spontanéité de l’expérience, la variété des activités proposées assure au dispositif une dimension kaléidoscopique assez proche de l’esprit des sixties et des seventies dont il se réclame à plein (et ce malgré l’artificialité inhérente à ce type de spectacle-simulacre) : atelier de peinture de panneaux “Peace & Love”, cabine photographique customisée, séances de parlotte plus ou moins inspirée à l’hôtel Chelsea, susurrations à l’oreille par des créatures en tenues baroques… Pour notre part, nous retiendrons la sympathique démonstration, par le sieur Timothy Leary lui-même, des pouvoirs d’hypnose (bien réels) induits par une prise de LSD (sur un Tic-Tac) ; et surtout une session musicale et psychomagique en one to one avec Amy Winehouse : “We were alone and I was singing this song for you.” Oh yeah.

Avec “Heroes”, le théâtre immersif, genre encore minoré en France, boudé par les créateurs et les programmations mainstream, a -t-il tenu ici ses promesses ? Le projet était ambitieux, et il faut reconnaître que le pari de Dot Pierson, Jules Guillemet et alii est réussi. L’enthousiasmant cortège de comédiens a réussi à créer un interstice spatio-temporel unique, chargé d’une énergie fraîche et bienveillante, propice à la curiosité et aux rencontres. Bien entendu,  tout cela n’a de sens que dans le périmètre que chaque participant veut bien définir. Certains auront pu regretter que l’ensemble reste un peu en surface, et ne soit guère propice au bousculement intérieur, moins que dans “D12ouze” de la même Dot Pierson, par exemple, se rapprochant plutôt d’un événement festif à la “Poetry Brothel”“. Mais son objectif n’était sans doute pas de céder aux sirènes de la burning-manisation des performances scéniques. Plutôt : de créer un objet éphémère qui participe, aux côtés notamment du travail de la compagnie du Libre Acteur (qui propose en ce moment même son “Cyrano Ostinato Fantaisies” au théâtre Lepic), ou du spectacle “Close” de Big Drama (jusqu’en mai à Paris) à l’éclosion du théâtre immersif en France auprès d’un public plus large.