(c) Laurence Guenoun

Le 59 Rivoli, ancien squat pérennisé par la mairie de Paris, est l’un de ces espaces qui se prêtent à l’introspection déambulatoire. C’est là qu’un collectif a eu la bonne idée de transporter sa création “D12ouze”, à mi-chemin entre théâtre immersif et atelier de développement personnel. Un projet aussi étrange que stimulant.

A l’origine de “D12ouze”, il y a les travaux de Desmond Morris sur l’intimité. Selon le sociologue américain, il y aurait 12 étapes distinctes du rapprochement entre deux individus, de la prise de connaissance du corps de l’autre jusqu’au contact physique le plus profond. Une théorie qui a eu vite fait d’être récupérée comme technique narrative par les auteurs de romans à l’eau de rose. Pourtant il n’y a pas grand-chose de mièvre dans le projet “D12ouze”, créé à Bordeaux en 2017. Comme le récent “Smoke Rings” de Sébastien Bonnabel, la performance décline, avec une troupe de comédiens au plus juste, des séquences de notre quotidien relationnel, au gré d’une déambulation guidée sur les six étages de la résidence d’artistes. Un parcours prévu initialement pour 12 spectateurs, même si le succès des réservations, ce soir-là, aura fait exploser le quota, entamant légèrement l’intimité de la représentation.

De pièce en pièce, pendant 2 heures, les saynètes utilisent, graduellement, le bon vouloir du public à participer à l’expérience sensorielle : la vue de la nudité, détachée de toute finalité performative ; l’écoute de l’intime sexuel (une avalanche de sextos lus par des comédiens) ; le toucher du corps de l’autre. On est dans de l’immersif participatif, à tel point qu’un petit speech introductif prévient même, comme dans une bonne vieille séance de SM, qu’un certain mot-clé permettra à tout moment, en cas de gêne, de se soustraire au déroulement de l’aventure. Une précaution qui fait sourire, et qui n’aura pas vraiment lieu d’être appliquée, tant le projet transpire la douceur (et la bienveillance), en dépit des images brutales de l’exposition G\’il.les\ qui nous cueillent dans la première salle du parcours. Et c’est peut-être là que, pour certains, “D12ouze” ne tiendra pas entièrement ses promesses : il commence par montrer l’intimité de ces autres, ces inconnus joués par les acteurs, dans toute sa crudité exhibo-voyeuriste, mais s’achève au moment même où l’essentiel devrait commencer, c’est-à-dire à la confrontation avec les frontières de ses propres ténèbres psychiques. Il manque à la performance une dernière étape, une ultime constitution d’une égrégore avec ce petit groupe de 12 anonymes, les uns tout juste apprivoisés par le regard des autres.

De ce regret, pourtant, il ne restera qu’une pensée éphémère, car “D12ouze” porte une énergie suffisamment lumineuse pour gâcher le plaisir de sa découverte. Et s’il “existe des niveaux de présence sans étanchéité, d’où nous sommes exclus, aussi proches que nous puissions avoir l’air de l’être” (dixit Georges Perros), voilà une occasion jolie et rare de creuser une brèche.

Au 59 Rivoli, Paris 1er jusqu’au 30 septembre.
Au Secret, Paris 5e,  le 14 octobre.