« Le Père », « performance poétique pour un comédien. » C’est exactement ça. Une performance. Et pleine de poésie, pour sûr. Ce qui surprend d’abord, c’est la radicalité de la mise en scène : plongés dans un noir profond avec pour seul repère le contact de leur siège, les spectateurs sont en prise directe avec la musique des mots. On est comme dans un rêve, bercé par la voix de Laurent Sauvage qui émerge des profondeurs. Où est-il ? Est-ce un enregistrement ? On s’interroge, mais pendant ce temps, la litanie bat comme un orage qui gronde. Le texte de Stéphanie Chaillou est une chanson qui nous vient de loin, s’approche, et avec elle une forme d’angoisse assez indescriptible. Puis ça s’emballe, le flot devient un flux, la nappe sonore est de plus en plus lancinante, de l’électro bien hard qui fait vibrer les entrailles. Un flash de lumière très faible enfin, et l’acteur apparaît, peu à peu, tel un spectre, fantôme d’un homme de la terre qui vient conter son histoire et dresse un état des lieux plein de rage et de tristesse. Il n’a pas le droit de faillir, jamais, car l’homme doit être fort et brave, jusqu’à l’épuisement, jusqu’au jour de trop où l’être tout entier dit « non ». « Et soudain, ce n’était plus ma vie. »
Ce que recherche Julien Gosselin, c’est « un rapport physique aux choses ». Et c’est réussi. On est comme happé, abasourdi, presque submergé par la violence du dispositif. Les mots projetés en fond de scène martèlent l’écran et s’impriment sur les rétines. Ces mots qui viennent frapper les corps des membres du public, les ébranler, alors que l’acteur est dans une économie de mouvements presque hypnotique. On pourrait se dire « c’est un peu facile », mettre le son à fond, brancher les néons et la machine à fumée, jouer sur la présence seule d’un comédien qui a vécu… Mais l’expérience sensorielle est totale. L’émotion qui a traversé le metteur en scène à la découverte de ce texte est palpable et il la communique avec talent. C’est ce qui est si beau dans cette pièce, cet objet artistique aux multiples facettes dans lequel les médiums surenchérissent et se répondent. Le père devient alors la traduction scénique des méandres de l’âme, une « Odyssée » du passage à l’acte, lorsque tout bascule, lorsque vraiment, ce n’est plus possible d’avancer. Et jusqu’au bout, la salle retient son souffle.