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Est-ce l’allure vaguement transgressive du thème (on parle d’orgasme, bref de cul), l’engouement actuel pour l’exploration de l’intime (encore mieux si celle-ci est menée par une femme – cf? vagins et clitoris comme éléments totémiques d’un féminisme badass, décomplexé et labellisé cool), ou encore la promesse d’une parole libératoire, qui font de ce spectacle un succès public et critique ?

Devant la litanie de lieux communs sur l’orgasme (saviez-vous que le patriarcat a longtemps fait dépendre celui des femmes de la pénétration ? Que l’orgasme est ce qui donne saveur à la vie – mieux vaut jouir, pour rendre supportable le métro-boulot-dodo), égrenés sur le monolithique mode mutin-instructif de la comédienne Constance Larrieu, conjuguant sérieux et sourire en coin dans une forme qui oscille entre le monologue et la confession, on est resté, quant à la question de départ, totalement vide, comme après un orgasme, mais sans le plaisir. Non seulement le patchwork de textes de Wilhelm Reich (extraits de “La fonction de l’orgasme”) passe trop vite sur les thèses de ce dernier – c’est trop superficiellement qu’on apprend que le paquet de névroses refilé par la société fabrique une société de durs-à-jouir -, mais l’ensemble des interventions de spécialistes (psys, sexologues, gigolo) qui ponctuent les considérations rabâchées de la comédienne ne nous apprend rien qu’on ne savait déjà (le sexe est politique, le clitoris externe n’est que la face émergée d’un iceberg de plaisir aux 8 000 terminaisons nerveuses). Pas une anecdote vraiment surprenante (le gigolo propose une explication de ce qu’est l’orgasme en nature, sans blague), pas une information scientifico-théorique qui transcende le niveau des marronniers “spécial sexe” de l’été, une mise en scène sans grand relief, à l’exception d’une étonnante scène de coït entre ballons.

Les meilleurs moments restent les interludes filmés, où, racontant la genèse du projet, la comédienne fait part de ses doutes et de ses surprises face au traitement et à la perception d’un tel sujet : son seul visage, oscillant entre désarroi et entrain, en dit bien plus long sur l’aura de fragilité, d’extase et d’incertitude, d’abandon et d’élan, qui s’attache à la jouissance. De sorte qu’il eût semblé bien plus fécond d’ assumer, à son propos, une parole subjective, plutôt qu’un discours (même faussement) didactique. Que dire de la jubilation du public, qui semble rire en proportion de la levée d’inhibition que ce spectacle lui offre ? Dans mon ennui comme un cri dans la nuit, je pensais à mes amis, aux ébouriffantes conversations partagées sur leurs orgasmes, à l’immense invention d’images, trash ou poétique, avec laquelle ils en parlent, à l’audace dont chacun se gonfle, pour évoquer une expérience si intime. Finalement, c’est peut-être le choix de départ, celui d’une parole objective pour parler de l’orgasme, qui pèche. Il y a une contradiction dans ce spectacle qui n’assume pas le traitement de son sujet – qui s’éloigne de toute parole singulière, sans pour autant assumer la précision théorique d’une vraie conférence, qui dit “faire crac-crac” alors qu’on ne parle que de cul. Pire, à force d’insister sur ce qui contraint le plaisir (les structures sociales), c’est le plaisir qui devient une contrainte (d’apparemment libérateur, le spectacle laisse un arrière-goût normatif). La chair, hélas, y est triste.