En réponse à l’épidémie actuelle de Covid-19, pandémie des temps modernes, et à l’invitation du festival “Plaine d’artistes” initié par La Villette, Anne-Laure Liégeois a conçu un projet né au cœur du confinement, interrogeant cette situation d’enfermement par son corollaire immédiat, la fuite.
En habituée de la collaboration avec des auteurs contemporains, la metteure en scène passe ainsi commande à douze écrivains, romanciers pour la plupart, de textes répondant à cette question de la fuite, la seule contrainte consistant à respecter 11 000 signes. Trois mois et un déconfinement plus tard, nous voici quelques spectateurs dispersés dans la Grande Halle de la Villette, corona-compatible de par son gigantisme, pour assister à une première mise en lecture de ces textes recueillis dans le temps fort de l’épidémie, rassemblés sous le nom de “Fuir le fléau”. Conçues comme des répétitions ouvertes avant une création ultérieure, le dispositif mis en place par la Villette dans le cadre du festival Plaine d’Artiste place l’échange avec le spectateur au cœur du travail. Comme une manière de renouer un lien mis en pause avec l’arrêt du théâtre durant ces mois de confinement ?
Ainsi, ne nous voilà plus “au théâtre” et face à une œuvre achevée mais en dialogue avec une metteure en scène curieuse de savoir ce que l’on comprend des textes, ce que l’on sent peut-être d’une expérience qu’après tout – et cela est rare – tous les présents ont eu en partage, posant la question du sens de l’ensemble. La parole des auteurs (Mauvignier, Mukasonga, Lise Charles et Arno Bertina ce jour-là) se déploie alors dans sa pluralité d’interprétation – curieux de voir comment certains sont restés très ancrés dans la situation donnée du “confiné” et d’autres en ont profité pour la fuir, précisément – et dans la parole des spectateurs vient se loger d’autres paroles qui éclairent les textes avec la singularité de chacun. Anne-Laure Liégeois, munie de son calepin, interroge sur l’ordre des textes, sur la possibilité de leur donner un sens global malgré leur hétérogénéité, posant de manière sous-jacente la question de ce qui fait spectacle. Il nous semble pourtant que toutes les graines sont plantées et que l’expérience de cette lecture, d’entendre ces mots lus par des comédiens, simplement face à quelques spectateurs dispersés, constitue déjà une forme théâtrale. Incomplète, certes, embryonnaire, bien sûr, mais qui réaffirme le dispositif théâtral central qui nous rappelle ô combien le théâtre est une expérience particulière et précieuse : celle où pour un temps, une parole nous est offerte, sans rien attendre en retour. A nous de la saisir et de profiter des petits miracles où certains mots, certaines phrases, feront un écho particulier et nous accompagneront dans nos propres appréhensions de l’expérience. Fuyons, mais fuyons ensemble.