Si loin, si proche

République Zombie

© Margaux Vendassi

Qui veut s’extraire de son corps coûte que coûte se prend vite les pieds dans le tapis : car celui qui cherche à devenir animal, devenir astre, devenir plante  bref, à se métamorphoser , continue d’apparaître tel qu’il est : un être humain… De sorte que l’homme qui se fond dans la nature la chosifie souvent par mégarde. Si Nina Santes, parmi d’autres, a mis en lumière ladite aporie lors d’une soirée Fictions à l’Atelier de Paris – CDCN en 2019, elle sublime son tir avec brio.

Certes, ce « République Zombie » cherche encore à sortir du corps. Cette fois-ci, non pas en pénétrant (entendre en dominant malencontreusement) ce qui l’entoure, mais plutôt en creusant à l’intérieur du corps lui-même. Il faut sortir du corps par le corps ; la démarche rappelle « Hymen Hymne ». Soit donc trois « zombies » qui veulent enfiévrer leurs tripes dans une scénographe glaciale : béats de prime abord, il agitent bêtement leurs bouches muettes et entament des pas robotiques. Mais en traversant peu à peu les frontières de leur peau, ils sont remués par une pulsion de l’en-deçà qui veut crier (des sons) et hurler (des mots) — à tel point qu’il faut arrêter le spectacle au bout d’un moment, afin que surgisse le verbe incarné (pour ne pas dire enragé) dans toute sa puissance. Un second spectacle commence : la même rage aura permis d’entrouvrir un nouvel espace pour les performeuses et les spectateurs… Les longueurs d’ondes s’y synchronisent : un battement de cœur habilement conçu par les éclairages d’Annie Leuridan invite le public à délaisser les gradins au profit d’une expérience synesthésique. Les chants et les voix se fondent alors dans l’environnement haptique – on ne sait plus qui parle – tandis les borborygmes acrimonieux évoluent en chuchotements puis en confessions rassérénantes, sous l’étrange impulsion d’une glaise malaxée qui circule de main en main. 

« République Zombie » est une oeuvre brutale — elle ne le nie pas — mais surtout, c’est une oeuvre brute, donc vitale, à l’image d’un rituel  : d’abord cryptique, elle s’éclaire lorsque quelques-uns de ses codes se dénudent. Si la chorégraphe parle du monde – la République – par le truchement d’un état social – le Zombie (d’ailleurs moins fantastique qu’en apparence, comme le montrait également Bonello dans son dernier film, « Zombi Child »), c’est parce qu’en grattant la peau de ces figures endormies, d’abord réduites au mutisme et à l’aliénation, elle réussit à en animer la chair : autrement dit, c’est par l’en-dedans que naît la sensation de l’au-dehors. Le public, échevelé sur les praticables de la scène, se sent aussi plus proche et plus loin de lui-même à la fois — comme à la sortie du rituel, lorsque le corps n’est plus exactement au centre de lui-même : en vrac, mais dépoli… Ou comme la sculpture en glaise qui s’érige au plateau : des membres humains s’y disséminent (les spectateurs les auront placés), mais elle semble sens dessus dessous. Peu importe, car ce nouveau corps, lavé de toute rigidité, est malléable à l’infini.