(c) Pierre Planchenault

La performeuse Mélissa Guex transforme l’argument dramatique du conte “Rapunzel” en symbolique, soit l’enfermement de la figure de la princesse dans nos représentations patriarcales, matérialisé plastiquement par ce masque d’argile blanche qui recouvre son visage. Ingénieuse métaphore qui détourne d’emblée le principe de toute identification possible pour mieux mon(s)trer le personnage en soi, enserré dans son archétype.

Un archétype déchu ici en créature hugolienne, aussi oxymorique que son écrin, sorte de tour souterraine d’un château, avec pour base une piscine d’eau stagnante, mélancolique, « l’eau morte », selon Bachelard, autant que bassin amniotique pour Vénus grotesque. Lieu de mort autant que de (re)naissance possible. Se donne ainsi à voir un portrait décadré de la princesse par un double geste de grossissement – le rouge à lèvres qui déborde – et de soustraction-déplacement – le crâne rasé au lieu d’une longue chevelure, incarnée plutôt par ces filets de pêche qui se feront sabre ondulant.

Ce déplacement de l’image, manifesté à l’échelle méta, sorte de « répétition différentielle », pour reprendre Clément Rosset, celle qui répète le même pour mieux l’altérer (ce qu’annonce déjà le titre), serait comme creusé, complexifié – et là réside toute la force intelligente de cette performance – par la dramaturgie du corps, qui reposerait, précisément, sur une advenue du déplacement. La performeuse s’adonne d’abord à une répétition ressassante, « à l’arrêt », dirait Rosset, qui enraye l’icône ici par ces crispations du sourire et ces hypnotiques et infimes vibrations du corps, sorte de popping immobile ultra maîtrisé, alors qu’une sourde menace gronde dans notre arrière-scène inconsciente, atmosphère sonore lourde, finement travaillée, qui encercle les corps.

Et, dans une lenteur organique qui contrebalance celle, traître, avec laquelle la matière argileuse liquide se fait solide, les vibrations corporelles se transforment en rotations d’épaules, puis de bras, gagnant en ampleur à mesure que le corps s’élève. Là serait donc la répétition « différentielle », vivante, respirante, « à l’œuvre », car elle génère un déplacement, un fluide qui non seulement anime le corps, celui-ci embrassant toute sa puissance retrouvée par la seule force centrifuge de son bassin – « no need to be saved ! » par un prince –, mais aussi projette du mouvement et déride l’espace.

Quoique l’énergie, notamment, soit tout autre, on pense ici au travail de la chorégraphe Betty Tchomanga, qui explore la figure monstrueusement sublime de la déesse Mami Wata dans son solo “Mascarades”, tant dans cette même écriture chorégraphique millimétrée d’un mouvement répété-altéré que dans la théâtralisation du visage, jusqu’à l’émergence de la voix, surgie du mouvement lui-même, autant d’entrées qui ouvrent la possibilité à d’autres récits.

À ce même titre, la performance de Mélissa Guex est un geste radical fascinant. Une sorte d’événement plastique qui, dans cette ascension spiralique du corps, dévoie l’icône pour créer des images mouvantes, proposer une nouvelle mythologie fluide, voire un nouveau langage symbolique, où les signifiants se voient attribuer d’autres signifiés. Et c’est précisément dans ce temps du lent renversement, de ces prémices d’un (re)commencement, que l’on trouve notre (dé)place, tout autour de ce bassin liquide, ravi.es sans crier gare par cette force volcanique au fier regard de Méduse.