Il se souvient

W/Perec

Dès les premières minutes, le spectacle vous tombe des yeux et des oreilles comme le livre du même nom vous tombe des mains.

On s’interroge : pourquoi distribuer une parole, celle de Perec, à quatre acteurs ? Pourquoi pas un seul en scène, une « petite forme », cet argument si cher à l’économie du spectacle vivant… ? Et quel est la signification de cette scénographie imposante visuellement et dans son sens, tant elle préfigure l’île W, avec sa voile tendue et ses forêts de bambous ? Et il est où, Georges ? Son écriture, énumératrice, analytique, clinique, drolatique ?

Passé un court et léger trouble, ces sujets d’interrogation sont balayés par le travail très juste et pertinent de Marie Guyonnet et l’interprétation au cordeau des quatre acteurs aux tempéraments très différents. Ils sont « un » mais dissemblables, chacun représentant un moment d’une vie : l’enfant fuyant la déportation, l’adolescent orphelin de retour à Paris après la guerre, l’écrivain trentenaire à la recherche de son enfance, l’écrivain reconnu convoquant son passé.

Et l’auteur nous revient, joueur infatigable de la langue ; le verbicruciste croise les récits, en abandonne certains, se (nous) concentre sur un seul et nous éclaire, nous saisit, au sens de l’effroi. Son île imaginaire, celle que nous avons tous cherchée dans l’amusement inefficace mais salvateur de l’enfance, devient Auschwitz-Birkenau…

Ce qui pouvait à un moment nous apparaître comme un roman de science-fiction, sorti tout droit chez H. G. Wells, devient notre histoire, celle-là, passée, celle-ci, en marche.

Marie Guyonnet épuise ses acteurs au sens littéral, leurs corps s’effondrent de fatigue, disparaissent, sont effacés par l’horreur absolue, anéantis.

Mais un dernier soubresaut, et l’artiste, le poète, les acteurs (tous !) se redressent et nous rappellent à la vigilance à l’égard de ces îles hostiles.