Les muñecas d’Hugo

Les Misérables

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Amour et révolution, le ton est donné d’entrée, Victor Hugo n’est pas trahi par les poupées de la compagnie des Karyatides, qui tombent au ralenti sous les balles sonores des forces royalistes, accompagnées dans leur chute par la musique de « Love Story ».

Les mots sont comptés et les gestes précis. Menos es más, selon le dicton espagnol, « La sobriété est la force ». C’est par surprise qu’on se voit captivé par le pouvoir d’évocation de ce délicat quatuor de poignets agiles animant des poupées hétéroclites, chinées au hasard des brocantes, preuves muettes de l’universalité de l’œuvre et de son interprétation. Et comme tous les hasards tombent juste dans cette pièce, on ne s’étonnera pas que ce soit dans la deuxième patrie d’Hugo qu’on utilise le même mot pour les poignets et les poupées – muñecas.

Il en va parfois du théâtre comme du textile : les belles pièces ne montrent pas leurs coutures. Ce qui n’est pas chose aisée lorsque le jeu se produit à deux niveaux, sur la table pivotante et aimantée des poupées, et entre les actrices qui s’activent autour. On aurait presque oublié qu’elles étaient de chair, ces actrices, jusqu’au baiser de Marius et Cosette, qui pique gentiment au flanc le spectateur qui s’est laissé envoûter par l’histoire comme un gosse.

Au demeurant, l’analogie avec l’artisanat n’est ni péjorative ni déplacée pour cette création. La narration est fluide, le décor et les jeux de lumière sont soignés, même les effets spéciaux sont réussis : comme ce tableau représentant un chemin qui s’enfonce dans une forêt dense, et qui, pivotant sur lui-même, restitue idéalement le désarroi de Javert. Bref, rien de révolutionnaire, mais on aime quand même. « On ne peut pas dire autrement, c’est de la belle ouvrage. »