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Lorsqu’on a demandé à Beckett s’il avait déjà pensé jouer le rôle de Krapp, il a répondu « Je n’aurais pas su me servir du magnétophone ». C’est à une mise en scène tout à fait simple et classique que nous invite Peter Stein au théâtre de l’Œuvre et pourtant, alors que je fuis volontiers poussières et stars de la déclamation, ce théâtre se laisse aimer car il transmet toutes ces petites bribes précieuses d’humanité.
La construction dramaturgique de cette dernière bande est un appel hypnotique au plongeon dans les arcanes du temps et de l’identité. A la veille de sa mort, ce clown abîme par l’alcool et les regrets redécouvre rituellement ses moi d’avant, ceux, dont les bandes précautionneusement rangées, enregistrent chaque année l’essence de ce qu’ils sont. Fascinant de suivre cet homme de 69 ans qui ne comprend plus (littéralement, l’utilisation du dictionnaire est même requise) celui de 39. Vivant en direct une séance intense de psychanalyse, le magnétophone devient l’objet transactionnel que l’on caresse ou que l’on maltraite et les voies du passé deviennent soudain perméables grâce à la présence morbidement vivante de sa propre voix. L’acteur, tout Jacques Weber qu’il est, reste au service de la magie sensible du génie beckettien, la pantomime comme chant du cygne.