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L’enfer, ça poisse, ça colle, ça brûle et hurle. Celui de Jean-Yves Ruf, mis en scène dans Jachère au Théâtre Gérard Philippe, est aseptisé. Les éléments du décor : le bar, la chaudière fumante, l’égout suintant et le sol boueux de l’avant-scène ne sont que les accessoires d’un esthétisme bourgeois, où la propreté est de rigueur. Alors comme les thèmes abordés riment avec folie, solitude, attente, rejet et malêtre, c’est l’illusion théâtrale qui en prend un coup.

Le texte ? Pour cette écriture de plateau, les comédiens ont été bons élèves. Ils se sont nourris de Dante, de Vladimir Nabokov, d’Emmanuel Bauve et d’Homère entre autres. Comme Pénélope, la belle patronne du bar semble ainsi attendre éternellement son amant, tandis que la jeune fille incarnerait la fascinante Méduse et que la vieille Blanche une sorte de Cassandre diseuse d’avenir. Mais le contrat scène-salle est fissuré par le manque d’évidence physique du spectacle. On ne croit pas à cet enfer, même dans sa forme la plus cruelle : lorsque la patronne s’absente un moment et que l’habitué en profite pour abuser de la jeune fille.

Conceptuellement, ce huis clos, où la vie n’est qu’attente et répétition, est pourtant cohérent. Sur scène, les êtres ne sont plus unis que par leur valse désincarnée. La jeune fille, interprétée par Isabel Aimé Gonzales Sola, incarne parfaitement la poupée soumise à des forces supérieures et destructrices. Elle convulse, chute et se relève inlassablement. Mais la beauté de cette chorégraphie coule, glisse puis finit par passer sur le spectateur pour ne laisser qu’un souvenir.