La question du virtuel titille une partie de l’avant-garde du spectacle vivant depuis une vingtaine d’années, avec des résultats scéniques plus ou moins heureux (voir notre tribune p. 10). Jisun Kim explore la question de la violence et de la mort au travers de deux jeux vidéo emblématiques, multijoueurs et basés sur des mondes persistants : « Grand Theft Auto » et « Minecraft ».
Tout commence par un dialogue socratique entre un avatar lambda et l’artiste elle-même, incarnés par des Télétubbies sous fond de pixels ultra kitch déclinés sur trois écrans géants. C’est le point de départ d’improbables in game interviews avec des joueurs qu’on imagine être d’indécrottables hikikomori. Violentes et drôles, les séquences agrégées par la Sud-Coréenne parlent d’alcoolisme et de suicide virtuel, de règlements de compte au bazooka aussi bien que d’une marche interminable, où le temps réel se confond avec le temps virtuel, pour atteindre les confins d’un jeu.
C’est qu’on est au cœur d’une révolution ontologique : exit Aristote, la forme et la matière, au profit d’une identité-esprit, d’un cogito numérique qui semble être l’étape d’un long processus de dématérialisation de l’humanité. Car derrière l’illusion digitale, les enjeux sont énormes, ceux de la redéfinition de tous les repères identitaires et des possibilités du vivre-ensemble. La résolution nouvelle de la puissance et de l’impuissance.
La performance vidéo de Jisun Kim parvient à rendre ces enjeux spectaculaires, bien que désincarnés. Ils sont portés par un discours cohérent, complexe, et certainement un peu hermétique pour ceux qui observent les mondes virtuels avec l’effarement du néophyte. Mais il est nécessaire que le théâtre s’en empare et fasse résonner nos doutes : que reste-t-il, dans ce long cheminement du moi virtuel, que le langage et sa représentation ? Il est certain que, dans ces univers numériques, Je est un autre.