L’homme sans histoire n’existe pas

I Am Not Ashamed of My Communist Past

(c) c_marko_berkess

Le théâtre, c’est parfois aussi simple qu’une forme et des mots pour dire les souvenirs effacés de nos mémoires collectives. La forme comme histoire des survivances, et les mots comme soldats de la mémoire face au prochain naufrage du monde. C’est en tout cas ce qu’explique Walter Benjamin, et c’est exactement ce qu’il se passe là, dans cette pièce de Sanja Mitrovic et Vladimir Aleksic. Alors qu’ils dansent, à moitié nus, sur le schéma reconstitué de cette Yougoslavie morte de l’incapacité des hommes à sortir du cycle destructeur du siècle, c’est un théâtre salvateur, résilient et combatif qui s’affiche. Un théâtre qui impose à ses spectateurs oublieux la nécessité du souvenir, alors qu’une voix nous serine cette vérité : « Personne ne se souvient de rien. Ce qu’il vous faut c’est une nouvelle guerre, bande d’enfoirés. » Ce faisant, c’est alors plus que du théâtre, c’est une réflexion militante sur l’histoire qui apparaît en filigrane. C’est beau, et c’est d’autant plus intelligent que cela s’intègre dans une acception de la mémoire qui entre en écho avec le désir des artistes d’assumer la beauté du passé communiste de ce pays disparu, car quand ils font de l’histoire cette « exigence générale de la pensée » dont parle Didi-Huberman, c’est tout le matérialisme historique de Marx qui s’installe sur la scène. Lui et son désir « d’exprimer les structures véritables du passé ». Lui, mais aussi la vision de Roland Barthes, pour qui « fonder le théâtre sur l’histoire, c’est dénier à la nature humaine toute réalité autre qu’historique ». Sans oublier que cette réflexion ne valait que pour ce qu’il en déduisait en 1957 dans « Brecht, Marx et l’histoire » : « Il n’y a pas de mal éternel, mais seulement des maux remédiables. » Cela ne paraît pas grand-chose, mais c’est alors à tout un pan de l’histoire de la pensée que se rattache cette pièce : celui qui veut remettre le destin de l’homme entre les mains de l’homme lui-même.