Le « Livre des livres », nouvel opus du dessinateur Marc-Antoine Mathieu, publié chez Delcourt, est un exercice de style entre beau-livre et travail oulipien. Un projet expérimental aussi radical que vertigineux.

Depuis les premières aventures de Julius-Corentin Acquefacques au début des années 1990, Marc-Antoine Mathieu ne cesse d’explorer les confins de la bande dessinée, défrichant des formes nouvelles au service d’un fond volontiers métaphysique. Avec « Le Livre des livres », on sort définitivement du narratif : nous voilà confrontés à 26 fausses couvertures de BD, soit disant rescapées de l’incendie d’une bibliothèque de Babel contenant l’intégralité des « albums imaginaires en attente de leur récit ». Dans ce grand jeu de détournement appuyé sur une esthétique borgésienne, la proposition de Mathieu est aussi légère que sérieuse : c’est d’abord une parodie de style des grands éditeurs de livres et de BD ; mais surtout autant de portes entrouvertes sur des espaces-temps à la Schuiten et Peeters, si évocateurs qu’on aimerait qu’ils constituent de véritables albums. A l’instar de ce « Songe d’une nuit d’E.T. », illustré par une pluie… d’extraterrestres.

Car le « Livre des livres » n’est pas qu’une énième ode à la créativité des formes, au surréalisme et à l’imagerie absurde. C’est aussi un hommage à la bande dessinée et à ses auteurs ; ainsi la planche « 4367 auteurs en quête de lisibilité » comporte-t-elle un texte allographique que l’on pourra s’amuser à décrypter : « (…) guides de l’île-art s’épient, gueulent, mânes (…) » : on aura reconnu Guy Delisle et Art Spiegelman. Mathieu, pour parodier sa propre parodie de son « Observatoire des sciences molles et dures », travaille à la « dénormalisabilité du Vrai ». Et à l’heure de l’ère documentaire et de la fiction réaliste, comme il est précieux ce travail de décalage du réel…