Tuer la mère

© Benjamin Boar

À lui seul, ce spectacle expose avec un brio remarquable ce qu’une vie d’analyse freudienne ne pourrait permettre de comprendre : qu’il est compliqué de se défaire de la mère. La mère de sang, bien sûr, mais aussi celle de l’esprit. Car comment ne pas penser à Anne Teresa de Keersmaeker, qui a formé Radouan Mriziga ? Ici, tout y ramène. Devant ce geste d’une stricte liberté folle, le spectateur se trouve instantanément face au souvenir qu’il a de l’inoubliable « Work/Travail/Arbeit » de la chorégraphe flamande. Que penser des sonorités, qu’elles soient celles du Qanûn ou des corps qui se frappent ? Elles ramènent bien entendu au Maroc, terre natale du chorégraphe. À sa musicalité bien sûr, mais à ses croyances aussi, tant le bruit de ces mains qui s’abattent sur les crânes des danseurs évoque à celui qui l’écoute ce moment de l’Achoura, quand le peuple célèbre le repentir d’Adam ayant quitté le paradis céleste. Et c’est amusant, tant cette proposition sonne elle-même comme le repentir d’un enfant qui regretterait d’avoir quitté le paradis que sa mère lui offrait. Reste que l’enfant est devenu grand, et avec lui son œuvre. Parions qu’ici ce repentir résonnera autant comme un regret que comme une déclaration d’indépendance qui pourrait faire date.