Je vois que tu ne me vois pas

Sanctuary

On se souvient, parfois pour de mauvaises raisons, de la précédente déambulation de Brett Bailey, « Exhibit B », qui avait déclenché lors de sa présentation à Paris et en Europe une violence inouïe et des débats virulents sur la colonisation et l’esthétisation de la souffrance. C’est ici aux parcours des migrants à travers l’Europe que l’on se retrouve confronté, avec comme marque de fabrique les regards des performers plantés avec insistance dans les yeux du public. Un labyrinthe en plusieurs tableaux, vivants certes mais immobiles, silencieux, pesants et pour certains culpabilisants (« Mais que peut-on faire ? Comment aider ? » entend-on souvent à la sortie du dédale…). C’est un fil rouge qui relie ces scènes de la vie ordinaire de ceux qui fuient vers un ailleurs qui ne veut pas d’eux, guidés autoritairement par les barbelés. L’installation performative du Sud-Africain continue à interroger la pertinence de l’art à s’emparer de sujets d’histoire très contemporaine, même si elle génère moins de véhémence que la précédente. Ce n’est pas du théâtre documentaire : rien de nouveau dans ce parking sur les conditions d’exil de ces peuples et de l’accueil qui leur est réservé. Ce sont surtout ces échanges via le regard qui engendrent un espace-temps particulier ; le temps de partager, pendant quelques longues secondes, la détresse, l’incompréhension et l’aberration d’une situation géopolitique ubuesque. La transformation artistique, et donc l’intérêt de la démarche au-delà du coup de poing, se trouve précisément dans ce lien entre le spectateur et l’acteur, qui pendant un instant sont réellement dans les rôles qu’on leur distribue : un migrant sans ressources et un habitant d’un pays qui refuse de l’accueillir.