© Une bouteille à la mer

Sur le lit d’une écriture somptueuse éclatent la peur et la colère. Une bouteille à la mer fait le récit d’une correspondance impromptue, entre une jeune israélienne et un palestinien du même âge, désespérément éloignés par les murs, les balles et la violence qui agite les têtes. Dans cet étourdissement quotidien, impossible de « mettre le silence à fond ». Depuis Tel Aviv, Tal décide de faire parvenir à Gaza un message caché dans une bouteille de champagne, celle-là même que sa famille avait bue à l’occasion des accords de paix du 13 septembre 1993. Pour retrouver un peu de cette joie évanescente, Tal se hasarde à plonger quelques mots d’espoir, une goutte de fragile tendresse, à l’adresse d’une âme encore inconnue.

S’attaquant à un thème rebattu et approfondi maintes fois, la Compagnie de brique et de craie réussit à donner une touche humaine délicate aux dynamiques de conflits qui opposent Israël et Palestine. Le geste de Tal témoigne d’une colère naïve – sorte de révolte par bonne conscience – qui se heurte à la détresse cachée de « Gazaman », le jeune Naïm qui n’hésite pas à se moquer d’elle d’abord, pour finalement se dévoiler par touches. Le geste initial se déploie alors avec force, libérant la parole et faisant tomber les masques. Entre amertume et curiosité sincère, Naïm laisse apparaître les aspirations et inquiétude d’un étudiant coincé sur cette gangue de sable qui l’écrase, l’étouffe, l’épuise. Malgré les déceptions continues et la mort qui rôde, les subtilités de la langue se révèlent alors comme un exutoire. Par ironie, tendresse ou fulgurances de clarté, l’adaptation du texte de Valérie Zenatti déploie une merveilleuse richesse d’émotions et d’images, où les mots éclatent comme renflement d’une colère et d’un espoir indicibles.

Dans ce jeu de va-et-vient entre Tel Aviv et Gaza, Eva Freitas et Aurélien Vacher se renvoient joliment la balle. Ce dernier habite avec une force toute particulière le personnage de Naïm, offrant des saillances bienvenues qui rompent la répétition instaurée par l’échange épistolaire. La musique d’Elie Petit accompagne ce jeu verbal d’une texture tendre, douce et grave tout à la fois, qui se pose comme le voile du temps qui passe entre Tal et Naïm. Au goulot de cette bouteille se trouve ainsi un souffle nouveau, qui défie l’inexorable banalisation des rapports de force, de la violence quotidienne et de la haine qui, au mieux, déforme les visages, au pire, fait voler la vie en éclats.