Élan de jeunesse estival

Pas pleurer

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Au Théâtre des Doms, le metteur en scène Denis Laujol signe une belle adaptation du roman de Lydie Salvayre « Pas pleurer », prix Goncourt 2014. C’est l’histoire d’une émancipation, celle de Montse, la mère de l’écrivaine qui, à l’été 1936, sent sa vraie vie commencer quand elle refuse un poste d’employée dans une maison bourgeoise pour rejoindre son frère et les mouvements collectivistes révolutionnaires qui ont fleuri en Espagne, vague d’espoir fauchée par la guerre et la montée du franquisme.

Tout part d’une petite phrase : « Elle est bien modeste. » Cette humiliation primaire, lancée par le maître de maison lors de l’entretien d’embauche, est comme une allumette jetée sur un fétu de paille : l’étincelle de la révolte dans le cœur de Montse. De ce premier acte de résistance découle sa nouvelle relation au monde : inverser les rapports de domination, refuser l’apitoiement et le diktat de la nécessité, inventer une nouvelle vie. L’été commence et la jeune fille de quinze ans va y découvrir la politique, l’ivresse des mouvements collectifs et bien sûr la douceur des premières amours. Ce récit se dévoile petit à petit, par couches, ou par niveaux. À jardin, au micro, la comédienne Marie-Aurore d’Awans interprète l’écrivaine, qui devient à son tour sa propre mère puis les autres protagonistes de cette épopée espagnole de 1936. Virtuosité de cette incarnation des personnages, enchevêtrés en poupées russes. La musicienne Malena Sardi, assise à la cour parmi ses amplis et ses pédales de distorsion, accompagne le récit en créant tour à tour des nappes sonores qui posent l’atmosphère adéquate ou bien tricote une mélodie qui devient peu à peu chanson épique pour clore en apothéose tel ou tel épisode. Entre elles, comme une caisse de résonance, un fond blanc sur lequel des images abstraites projetées ouvrent un champ plus grand, métaphysique bien sûr. Ici, le paysage de la révolution dans le cœur de cette jeunesse se corrompt peu à peu, la guerre broie les corps et les espérances. La parole de Georges Bernanos décrit, dans une anaphore coup de poing, l’escalade de la violence. La petite histoire rejoint la grande histoire. Une adaptation très juste qui, sans rien ôter à la puissance littéraire du texte, y ajoute ce qu’il faut de jeu, de couleurs et de vie pour faire exulter en nous cet élan de liberté et de joie qui naît à l’adolescence et qui irrigue tout une vie, malgré les plus dures épreuves.