Pour son premier roman, Francis Tabouret – une des dernières signatures de Paul Otchakovsky-Laurens avant son décès – offre un récit à la première personne, directement tiré de son métier de convoyeur animalier. Une troublante expérience de la langueur.

« Pourquoi n’y a-t-il pas de littérature des mers calmes ? » nous demande à un moment Francis Tabouret dans son récit. Il est vrai qu’en empoignant un roman intitulé « Traversée » on serait presque automatiquement amené à penser péripéties, à rêver vagues et tempêtes, à sentir la houle ou même à craindre les pirates. Mais dans la traversée de Francis Tabouret, rien de tout cela : pas de chavirements ni de naufrages, pas de cales enfumées où l’on se bagarre pour des femmes ou de l’argent. Les marins philippins qui composent l’équipage ne sont pas des bandits. Juste des travailleurs, et leurs chants se résument à leur séance de karaoké dominicale.

Non, cette « Traversée » n’est pas un roman d’aventures, mais plutôt l’expérience envoûtante d’un temps suspendu – celui des océans tranquilles –, passé dans un immeuble flottant pourtant bien peuplé, mais où l’on ne rencontre jamais vraiment les autres. Et peu importe, finalement, car la principale compagnie de Francis Tabouret pour ce voyage, ce sont ses animaux, qu’il est chargé d’accompagner jusqu’à la Guadeloupe pour s’assurer qu’ils arrivent en bonne santé chez leurs acheteurs. Douze chevaux, quinze moutons et huit taureaux : ce sont eux et le soin qui leur est porté par l’auteur qui rythment ce récit. C’est un peu à leur image, enfermés qu’ils sont pour treize jours dans leurs containers aménagés, que nous faisons ce périple, eux qui sont emportés d’un continent à un autre sans trop savoir pourquoi, accompagnés par un soigneur bienveillant qui leur susurre à l’oreille qu’ils seront bientôt arrivés.

Les animaux perçoivent-ils vraiment le temps ? Dans la longueur des heures étirées par le large, Francis Tabouret leur apporte tendresse et réconfort. Et force est d’admettre que c’est aussi l’effet qu’a sa poésie sobre sur nous, lecteurs. Par son lyrisme maîtrisé, il nous prend doucement par la main et nous emporte avec lui dans l’isolement presque monastique de son voyage, où les seuls êtres régulièrement côtoyés sont ceux qui n’ont pas conscience de leur finitude. « Traversée » prend alors finalement le contre-pied de son titre et s’impose comme un voyage intérieur, où solitude et ennui redonnent au regard sa magie.