Ils marchaient dans le noir, fuyant la lumière de ce monde abject. Qui ? Le père et les deux oncles de l’artiste, nés dans l’Espagne de Franco. Étouffant à l’air libre, ils sont allés respirer sous la terre, devenant spéléologues à leurs heures perdues. Creuser un trou comme on entre dans une femme, y retrouver la fraîcheur ailleurs évaporée sous un soleil mortifère. C’est une origine du monde plus minérale que la touffe de Delacroix, mais dans les deux cas, on peut y retrouver une humidité revivifiante.
Des images sont projetées de ces grottes indistinctes où errent de petites lumières qui virevoltent, telles des lucioles. Et sur scène, devant l’écran, une discrète pyrotechnie parvient à nous faire croire que la salle de théâtre est devenue notre grotte. On assiste ainsi à une inversion complète de la conception platonicienne de la caverne. L’auteur de « La République » en faisait le lieu de l’aliénation sensible de l’homme, fasciné par les images et les ombres qui s’y projetaient. Au contraire, dans la grotte d’Edurne Rubio, les hommes peuvent fuir le monde des apparences et des contraintes sociales pour se retrouver, faisant résonner, comme un écho perdu, ces mots de René Char : « Brûlé l’enclos en quarantaine / Toi nuage passe devant / Nuage de résistance / Nuage des cavernes / Entraîneur d’hypnose. »
Mais la grotte, c’est aussi l’espace du souvenir indistinct, plongé dans la pénombre de la mémoire. Se rappeler le passé et ce qui nous lie à lui, un peu comme les communiants, dans la fraîcheur de la pierre ecclésiale, se rappellent le Christ. On se souvient des mots du Rédempteur, au soir du dernier repas : « Vous ferez cela en mémoire de moi. » Et là, c’est le fils, Edurne Rubio, qui répondrait à son père, lui-même fils du Fils : « Je ferai cela en mémoire de toi. » Mais notre grotte allégorique, le théâtre, n’est pas tout à fait comme le caveau du Christ. Nulle résurrection de chair n’y aurait lieu, et seuls des artefacts (vidéo, gestes, corps d’autrui) sont présents pour nous rappeler plutôt que pour nous ramener les morts. Manière aussi de rendre finalement raison à Platon, pour qui la grotte ne saurait nous donner les choses mêmes, mais simplement leurs images évanescentes.