Voyage d’hiver en bus avec les émigrés

Winterreise

(c) Ute_Langkafel_maifoto

Dans cette création au titre schubertien, des comédiens originaires d’Afghanistan, de Syrie et de Palestine parcourent l’Allemagne en bus et racontent d’une manière souvent drôle et intime la brutalité de leur réalité d’exilés.

Figure de proue du Maxim Gorki Theater, Yael Ronen présente un spectacle emblématique de l’ambitieuse politique artistique du théâtre berlinois. À sa tête, Shermin Langhoff s’attache à proposer des œuvres empruntes des bouleversements du monde actuel, notamment de la question des réfugiés et de la migration. Dans l’établissement culturel situé au bord de la célèbre avenue Unter den Linden, en plein cœur de la ville, elle a fondé, en 2016, l’Exil Ensemble, une plateforme pour artistes professionnels ayant été contraints de quitter leur pays et de trouver refuge dans la capitale allemande. Un geste d’accueil aussi volontariste, le paysage théâtral français n’en connaît pas de comparable. Sept membres venus d’horizons divers et lointains se trouvent depuis plus d’un an rattachés à l’institution : Ayham Majid Agha, Maryam Abu Khaled, Karim Daoud, Tahera Hashemi, Mazen Aljubbeh, Kenda Hmeidan, et Hussein Al Shatheli, qui raconte comment, au cours d’un périple aussi coûteux que dangereux, il a quitté Damas, a passé la frontière turque pour rejoindre la Grèce puis la Suisse avant l’Allemagne avec 4 000 dollars cachés sous ses vêtements et un faux passeport.

« Winterreise » est la première production du collectif. Elle est signée d’une artiste israélienne qui vit entre Tel-Aviv et Berlin et qui interroge constamment les origines dans son théâtre en imposant le déplacement, l’itinérance, comme points de départ au processus de création. Dans un précédent spectacle, « Common Ground », elle embarquait des acteurs serbes et bosniens sur les routes de l’ex-Yougoslavie à la rencontre de leur passé. Prenant de nouveau la forme d’un road trip énergique et émouvant, « Winterreise » se présente comme un voyage où, pendant deux semaines au cours du mois de janvier 2017, les comédiens, conduits par un pilier de la troupe du Gorki, Niels Bormann en étonnant guide touristique à la fois généreux et circonspect, se sont rendus à Weimar, Munich, Düsseldorf, Hambourg… Chacune des localités traversées est devenue un chapitre de la pièce.

Une froideur hivernale enrobe le plateau où, comme dans un oratorio, de jeunes hommes et femmes déracinés sont assis sur une valise et racontent leur propre histoire. Derrière eux, un écran offre à la vue les panoramas de larges espaces brumeux et glacés, de forêts infinies, de longues lignes droites et bitumeuses d’autoroutes. Donné pour titre à un cycle de lieder traduisant le découragement et la douleur intériorisée d’un éternel voyageur solitaire, « Winterreise » est désormais le fruit d’une expérience vécue et le discours produit par des voyageurs désappointés dans la ville de Dresde, où sous les fenêtres de leur hôtel, les membres issus du mouvement de la droite populiste Pegida scandent leur crainte d’un Occident islamisé avec d’odieuses pancartes « Fatima Merkel », « Saxe bleibt Deutschland » ou « Kartoffelmn statt Döner ».

Sans lourdeur, sans pathos, mais au contraire avec un humour vivifiant, le spectacle pointe une part d’incompréhension face à l’inhospitalité européenne désarmante et chante le désir d’un « vivre ensemble » salutaire. Le propos humaniste rend compte avec force et nécessité de la richesse du multiculturalisme post-migratoire comme du pouvoir unificateur du théâtre.