Et si la poésie était autre chose que cette impatience entravée dont parlait Bonnefoy ? Si c’était au contraire une patience infinie, à l’image de celle qui semble se dégager de l’ensemble des textes présentés lors de cette 3e nuit de la poésie “résister en poésie” ?

Il faut en effet de la patience pour, comme le rappellent lucidement Marie Descourtieux et Olivier Chaudenson, ne “rien céder à l’obscurantisme et à la violence (…) avec des petites armes littéraires et un peu naïves”. Le fil conducteur de cette nuit de la poésie est ainsi la résistance, celle des poètes contre la folie de leur propre peuple mais aussi du monde, et les ponts jetés entre eux à travers les duos bilingues sont autant de lieux de refus de l’ordre établi,  comme, entre autres, ce combat des femmes “libres” de Turquie porté par la poétesse Müesser Yeniay, accompagnée en musique  par le musicien Kurde Issa Hassan, textes dits par l’auteure et sa traductrice, voix calmes et posées, entrecoupés de nombreux silences qui laissent place à l’envoûtante mélodie du Bouzou, instrument ancré dans la culture ancestrale kurde… moment hypnotique où voix et musique s’entremêlent pour ne créer qu’une seule note continue, d’une poésie absolue comme si, au-delà du sens des mots, ne comptait que l’intention poétique des sons.

Et quel patient refus illumine les poèmes du poète palestinien Mahmoud Darwich : “Ici nous mourrons. Ici dans le dernier défilé. Ici ou ici, et un olivier montera de notre sang” ! Le voyage à travers la poésie des 10 pays arabes présents se termine par la magnifique immersion dans l’exposition “Cités Millénaires (voyage virtuel de Palmyre à Mossoul)” : les cités antiques détruites par l’Etat islamique sont reconstituées en 3D, laissant apparaître en transparence ce qui a été détruit… ces images rendent à jamais réel ce que furent ces joyaux, illustrant ainsi la défaite des fanatismes face à la poésie. Magique.