Qu’est-ce qu’on a fait au Bondu ?

Dévotion. Dernière offrande aux dieux morts

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C’est un spectacle « transgenre » qu’a l’audace de façonner Clément Bondu (geste qu’on voit trop rarement depuis une cinquantaine d’années), où le théâtre, le cinéma, la poésie et la musique (car l’homme est tout naturellement poète, écrivain, metteur en scène et cinéaste) se mêlent avec tant de finesse qu’ils en deviennent méconnaissables. La modestie légendaire du sous-titre, « Dernière offrande aux dieux morts », fait du cérémoniel de Bondu une postdramaticité critique où tous les grands déchus, congédiés de notre galaxie désenchantée, reviennent de leur nuit catastrophique. La poétique de Clément Bondu quant à elle, placée sous l’égide de cet hymne au « salsifis » incanté par un mauvais poète postcontemporain de l’histoire (auquel un autre personnage, dans un processus de double énonciation assez complexe, rétorque comme chez Molière : « C’est de la merde »), fait la part belle aux aphorismes surpuissants (« Le cadre vous définit »), aux métaphores pseudo-mystiques (« épiphanie de promesses ») et à tous les poncifs critiques de la postmodernité. Tour à tour Falk Richter avec ses chœurs d’opprimés inaudibles, Rodrigo Garcia avec sa satire culinaire de supermarché, Dostoïevski avec ses idiots et ses duels, Bondu essore sa culture littéraire et philosophique dans un matériau politique aussi maussade dans ses replis ténébreux que dans ses échappées grotesques. Le néoclassicisme postdramatique plutôt original de sa proposition est enlisé par un manque d’inventivité scénique que les jeunes comédien.ne.s de l’Esad, qui révèlent quant à eux du talent et de la personnalité, n’arrivent pas à sauver. Au tremblement des représentations aseptisées et démagifiées de la postmodernité que le spectacle disait réactiver (dans une discursivité excessive qui le pénalise par ailleurs), cette « dévotion » sonne comme une posture faussement inspirée. S’adresser ironiquement à ceux « qui n’attendent rien du théâtre », comme l’énonce le très long prologue d’un Monsieur Loyal démystifié, comporte visiblement certains risques, et en premier lieu celui de « patauger dans un vaste marécage », comme Bondu l’écrit lui-même.