© Mark Gambino

Perdu au cœur de l’ancienne friche industrielle des Terres Neuves, aux portes de Bordeaux, dans la fraîcheur d’un doux matin d’octobre, nous cherchons notre chemin dans un dédale d’immeubles en construction. Il est tôt, trop tôt pour un samedi matin, et nous avons rendez-vous au Chapit’Ô de Bègles, ancien entrepôt de l’armée française reconverti en lieu culturel, pour assister au travail de l’artiste néerlandais Nick Steur. L’homme est discret. Alors que tout le monde attend à l’intérieur du bâtiment, il se tient debout sur la terrasse, les yeux fermés, profitant de la quiétude matinale. La salle où nous pénétrons est recouverte de plaques d’acier qui créent un plateau miroitant sur lequel reposent des tiges en fer et autour duquel nous nous installons. À nos pieds sont étalées des pierres de toutes les tailles, de toutes les formes, de toutes les couleurs. Le décor est posé et le soleil, par les fenêtres, dessine sur les tôles un axe lumineux que l’artiste suivra pour placer ses sculptures. Silence. Nick Steur, assis parmi les spectateurs, se lève, se saisit d’une pierre, puis d’une autre, se dirige vers l’une des tiges métalliques et, sur ce perchoir improbable, dresse une sculpture minérale en un équilibre invraisemblable. La concentration est immense, les gestes à la fois précis et hésitants. Il tâtonne, le souffle coupé. Nous aussi, nous retenons notre souffle de peur d’ébranler ce château de pierres qui pourrait s’effondrer au moindre tremblement. Nous respirons au rythme des oscillations de la pierre. Nick Steur parle à ses pierres. Elles lui résistent parfois, mais la tempête intérieure qui le traverse jamais ne vient troubler les mouvements de ses mains ou de ses bras et la nature finalement abdique : le galet massif repose, désormais vaincu mais debout, sur l’arête millimétrique d’un minuscule morceau de roche, dans un équilibre fragile et magique. En domptant la nature, Nick Steur ne réalise pas seulement une performance artistique hors norme. Il suspend le temps pour nous permettre d’ouvrir les yeux sur l’ici et maintenant.