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Nos corps comme des livres. Des livres dont Aina Alegre nous fait la lecture, une heure durant. Sur le plateau : trois corps. Torses nus, habillés de pantalons noirs, ils vont se mouvoir et s’écrire progressivement dans les méandres d’une nature fantasmatique que la scénographie de James Brandily nous enjoint à rêver. Jungle de nos vies, bien sûr. Mais pas seulement. Jungle intérieure au cœur de laquelle chacun de nous s’emploie à trouver une place pour construire son corps. Un corps dont on souhaite que l’enveloppe corresponde à l’image mentale que nous avons de nous-mêmes autant qu’à la violence de l’environnement dans lequel le destin nous impose de nous inscrire. La peinture alors, pour écrire les histoires et donner de la matière à ces carcasses peureuses. De la peinture aussi pour grimer les visages et salir les muscles. Devenir guerrier pour affronter le monde et manger ses feuilles. Pour détruire les pierres qui jonchent le sol et tendre vers le ciel. Une grande histoire du devenir qui peine pourtant à trouver son axe. Peut-être le récit de ces vies est-il trop écrit. Trop maîtrisé. Téléologique jusqu’à l’os le livre qu’Aina Alegre nous lit semble connaître déjà sa fin quand le plateau s’allume à la première seconde. C’est dommage, tant les interprètes impressionnent et l’atmosphère résonne. C’est dommage aussi quand l’artiste apparaît comme enfermée dans les références intellectuelles et créatives qui sont aussi ce que ces corps qu’elle nous montre cherchent à déconstruire pour bâtir leurs identités. Yves Klein est ici, dans le bleu de la couleur qui s’étale sur les corps. Et la performance New Age des années 70 plane aussi, comme un fantôme tutélaire. Reste que dans ses affres, l’oeuvre est toujours belle, tant elle dit aussi par son imperfection ce que nous prouvent les corps qui occupent l’espace : qu’il est difficile d’être soi.