L’amour et la beauté seuls donnent un sens à l’existence

La Bouche pleine de terre

DR

Il est des spectacles dans lesquels on s’immerge avec lenteur, mais qui ne nous laissent pas de répit dès le moment où ils nous ont saisis. « La Bouche pleine de terre », adapté du récit de l’auteur serbe Branimir Scepanovic, mis en scène par Julia Vidit, est de ces spectacles-là. Il prend à la gorge de manière progressive, suivant le rythme de cette chasse à l’homme effrénée qui constitue la trame de la nouvelle.

L’histoire est simple : un homme descend d’un train pour mourir en paix dans la nature et croise sur sa route deux campeurs. Rencontre bouleversante pour les trois personnages, portés ici par deux comédiens (Laurent Charpentier et Marie-Sohna Condé), puisqu’elle tourne à la poursuite à travers les forêts, absurde s’il en est, de l’homme qui voulait mourir. La poésie du récit trouve dans la mise en scène de Julia Vidit une incarnation toute particulière, portée par une scénographie simple mais significative, dont l’élément principal est constitué d’un cône cloué au sol, poussé tout au long de la pièce par l’homme perdu. Tout comme Sisyphe remontant en vain son rocher en haut de sa colline juste avant que celui-ci ne dégringole à nouveau, l’homme s’acharne alors à fuir ce qui ne peut l’être : la chasse à l’homme donnée comme originelle, hobbesienne. Cette chasse est ici portée par une création sonore riche qui renforce le mouvement de la parole de manière quasi cinétique. Alors, lorsque la suspension du son se fait, la beauté des mots de Scepanovic et celle du silence, comme une immense respiration, émergent simultanément. Au milieu de celui-ci, donc, nous retiendrons ceux-là : « L’amour et la beauté seuls donnent un sens à l’existence. » De cette révélation brûlante aux accents nietzschéens, née d’une lutte contre le désespoir et l’anéantissement contre lesquels se bat le personnage principal, nous sommes envahis de manière quasi organique. Ainsi, par le travail du son, de l’image animée et d’une création lumière tout en délicatesse, l’adaptation de Vidit permet à la fois de découvrir la célèbre nouvelle, considérée comme un chef-d’œuvre de la littérature serbe, et d’y apporter une matière théâtrale brute, créatrice d’images fortes. Voilà une création qui agit de manière sensorielle, où les mots sont ressentis physiquement et nous apportent une véritable expérience théâtrale qui offre, pour un moment, « un sens à l’existence ».