Z’avez pas vu Anaïs Nin ?

Anaïs Nin au miroir

Difficile d’imaginer un spectacle plus éloigné de la poétesse sulfureuse Anaïs Nin que la mise en scène d’Élise Vigier « Anaïs Nin au miroir ». Les tours de magie ont remplacé les saillances du verbe, le burlesque maladroit, la sensualité de la prose.

Difficile aussi de s’accrocher à un fil pour trouver un intérêt à ce spectacle. Le texte d’Agnès Desarthe peine à rendre les fulgurances des journaux de l’autrice franco-cubaine, œuvre voluptueuse et troublante ; son correspondant Henry Miller lui écrira d’ailleurs à ce propos « Dans ton Journal, tu dis des choses sublimes et monstrueuses à la fois. Aucune femme avant toi n’a jamais dit de telles choses. Crois-moi. » Pourtant, sur scène, le monstre libertin a laissé place aux saltimbanques en sur-jeux. Les acteurs, fébriles lors de cette première avignonnaise, tentent tout pour donner des couleurs à leurs personnages, mais ne transmettent rien, comme si le quatrième mur s’obstinait dans l’opacité. On pourra aussi s’interroger sur le choix dramaturgique de la transposition d’Anaïs Nin, fantôme qui minaude, revenant du passé pour s’immiscer dans une troupe d’un cabaret d’aujourd’hui. Cette ficelle théâtrale boursouflée donne à la représentation le goût daté des spectacles à saynètes qui s’enchaînent sans faire sens. L’humour tombe à plat (« Je vais au Kremlin – À Moscou ? – Non au Kremlin-Bicêtre ») et creuse cette distance mi-gênée, mi-empathique que l’on ressent dès les premières minutes du spectacle. Puis vient l’ennui, le décrochage, comme si, nous aussi, nous partions à la dérive dans l’épave romantique du bateau qui stagne en front de scène, échoué là par trop de souffles avortés. On cherche en vain à entendre la poésie. Nommer un spectacle provoque des attentes, Anaïs Nin grande absente se terre, heureusement pour nous, dans les pages de ses écrits : « Je découvre sans cesse que le Journal est un effort pour ne pas perdre, pour me garantir contre l’éphémère, les morts, les déracinements, les dessèchements, les irréalités. Je sens que lorsque j’enferme je sauvegarde tout. »