(c) Frederic Grimaud

Nous sommes cernées, inondés, envahies par les images, au point que regarder des flux serait devenu l’activité la plus chronophage pour une majorité d’êtres humains, derrière le sommeil que certains, comme le PDG de Netlix, Reed Hastings, entend concurrencer – objectif qu’il assume haut et fort. Effaré par cet asservissement aux écrans, le grand spécialiste de l’intelligence artificielle, André Toujours, a organisé en 2019 une conférence intitulée « ATTENTION », terme à comprendre dans ses différents sens, désignant à la fois la mise en garde et le régime perceptif qui est bien mis à mal par la pollution audiovisuelle. Le professeur-expérimentateur reconstitue pour nous cette prise de parole fleuve et controversée, afin de trouver parmi les spectateurs des volontaires pour mettre fin à notre aliénation. Il a en effet conçu un film qui contient l’image salvatrice capable définitivement de nous libérer des flux pixelisés.

Inspiré par l’œuvre du poète Bernard Noël, le spectacle s’amuse à troubler les frontières entre réel et fiction par le prisme d’un équivalent théâtral au documenteur. Travaillant une esthétique steampunk et empruntant des références analogiques pour les confronter à nos chaînes technologiques, Arnaud Troalic nous entraîne avec allant à sa suite dans cette session de rééducation numérique semi-improvisée, pour nous sortir de l’impasse de la passivité. Le théâtre, spectacle vivant, art de la présence, du « réel », où les téléphones sont censés être coupés, nous éloignant du tonneau des Danaïdes sans cesse rempli de pixels, n’est-il pas le lieu propice pour offrir un contrepoint à nos vies virtuelles ?

Si le dispositif au charme nostalgique et l’interprétation malicieuse de ce seul en scène séduisent, reste que ce discours catastrophiste sur les images, les condamnant globalement, demeure relativement simpliste et convenu. Plutôt que l’attention, n’est-ce pas la notion corollaire de « distraction » qu’il s’agirait de mettre en scène, témoignant d’un conflit d’attractions ? La distraction pourrait être paradoxalement le stigmate de nos sociétés et son antidote, renouant avec son étymologie, à savoir « tirer en divers sens »… C’est ce à quoi on songe, distraite peut-être, en regardant « Attention », tandis que la machine s’emballe…