@Thick&Tight

Malgré la majesté du Shoreditch Town Hall de Londres et l’humour qui ne manque jamais aux créations des artistes dont il sera question ici, une ambiance étrange est palpable dans la salle. La compagnie Thick and Tight, portée depuis une dizaine d’années par les Britanniques Eleanor Perry et Daniel Hay-Gordon, nous offre non pas une nouvelle création mais une rétrospective – à la demande, semble-t-il, du Mime Festival qui les présente ce soir, comme il l’a fait depuis longtemps et ne le fera plus car il touche à sa fin. La Grande-Bretagne est de ces pays où les festivals disparaissent au même rythme infernal que la faune et la flore.

La soirée est donc dédiée à la découverte ou redécouverte à cette troupe à la patte singulière combinant drag, culture queer, synchronisation labiale, mime et danse. Ils proposent un format cabaret de haute volée comme on voudrait aller en voir tous les vendredis soir dans une petite salle feutrée, pour rire et hurler des remarques intempestives vers le plateau, les deux mains en guise de haut-parleur autour de la bouche. Imaginez un cabaret façon Bob Fosse. Le fièvre du travestissement et du maquillage outrancier, un fond politique – et en même temps pas, car le privilège ira toujours au rire, au détournement et à la légèreté.

Les numéros s’enchaînent et ne se ressemblent pas, sauf la vignette projetée au mur à chaque entame représentant une photographie d’une célébrité ainsi qu’une courte biographie. En effet, l’une des spécificités de leur travail est l’invocation, l’incarnation. Ils s’emparent de figures éminentes de l’histoire ou de la culture, britannique ou autre, et en produisent des apparitions façon drag show croisé à Dominique Gonzalez-Foerster.  De la reine Victoria, aux personnages de Dickens, en passant par Marlene Dietrich ou Churchill, les deux artistes empruntent les attributs et faits d’armes de ces fantômes. Accompagné d’un montage entre musique et enregistrements sonores d’archives, ils produisent un montage multimédia et pluridisciplinaire. Une forme scénique intelligente et drôle entre art visuel, le collage, le montage ou parfois le meme art.

La pièce finale catalyse leur style. Intitulée “Cage & Paige: We Could Go On and On” le numéro associe les paroles et les mouvements du compositeur avant-gardiste John Cage à Elaine Paige, figure extravagante et emblématique de la comédie musicale britannique, dans un montage alterné parfaitement absurde. On entend Cage : “Il y a deux choses qui ne signifient rien ; l’une est la musique et l’autre est le rire. Cela ne doit pas signifier quoi que ce soit, afin de nous donner un plaisir profond.” Et tient dans cette phrase une sorte de manifeste du travail des deux artistes.