© Vincent Bérenger

Se plonger dans les textes et la pensée d’Hannah Arendt, c’est opérer une catabase traumatique dans l’horreur des camps, mais c’est aussi faire l’expérience intense et enrichissante d’une pensée rigoureuse, malgré ce que certains de ses détracteurs ont pu dire, et lucide.

Si Hans Jonas posait la question du concept de Dieu après Auschwitz, Hannah Arendt a tenté, elle, de démêler l’inexplicable, de dire l’ineffable. Elle disait vouloir comprendre et affirmait ressentir une profonde joie lorsque d’autres gens comprenaient. Bérengère Warluzel, qui incarne les mots d’Arendt, poursuit ce même objectif. Elle a non seulement patiemment collecté les mots de celle qui disait avoir pris congé de la philosophie, mais elle a aussi voulu tout comprendre avant que de dire et cela se ressent dans son interprétation. La comédienne, qui frôle les quelques spectateurs installés judicieusement sur le plateau et les convoque parfois par la douce profondeur de son regard, réussit cette performance d’être intensément là, au milieu de nous, tout en parvenant à s’effacer derrière les mots de l’élève d’Heidegger et de Jaspers. Et c’est alors que tout s’illumine. La pensée d’Hannah Arendt est incandescente. Les mots font sens et Bérengère Warluzel tisse la toile harmonieuse d’une pensée lumineusement poétique, éclairée et éclairante. Il est impossible d’oublier que ces mots sont ceux d’une jeune femme qui dut quitter son Allemagne natale à l’âge de vingt-six ans, quelques jours après l’incendie du Reichstag, et qui découvrit l’horreur des camps à un âge où l’on rêve d’avenir. On ne peut non plus ignorer le fait que certaines de ses paroles résonnent encore aujourd’hui. Ce travail, dirigé par Charles Berling, façonne, par les mots, un îlot salutaire qui nous oblige, l’espace d’un instant, à penser, mais aussi à envisager la beauté qui survit toujours à l’horreur pourvu qu’on veuille bien la voir. Hannah Arendt a écrit que « l’humanité n’est jamais acquise dans la solitude ». Bérengère Warluzel est parvenue à remettre un peu d’humanité au milieu de toutes nos solitudes.