© Christophe Raynaud de Lage

Gwenaël Morin a l’habitude des classiques, si bien que, même sans parler de méthode, on reconnaît souvent son approche dramaturgique, qui nombre de fois a fait ses preuves. Car si, dans ses travaux les plus récents, on excepte des spectacles de plus grande ampleur (« Re-Paradise », « Le Théâtre et son double », tout aussi passionnants), le metteur en scène parvient toujours à faire entendre les textes anciens, parfois antiques, d’une manière à la fois simple et radicale : les situations sont claires ; le texte, souvent affiché sur un panneau mobile, parlé haut et fort ; les costumes, quand ils ne sont pas absents, restent fonctionnels ; et surtout, l’ensemble est follement ludique. 

Cela dit, dans une bonne partie des auteurs qu’il montait, Sophocle et Racine en tête, les personnages, de plus ou moins pâles aristocrates, étaient pris dans des intrigues droites et aisées à saisir (triangles amoureux et/ou de pouvoir, etc.) que la langue sublimait — de sorte que l’esthétique de Morin, bordélique à souhait, créait un décalage esthétique et politique salvateur. Tandis que pour « Le Songe », la première des pièces qu’il crée dans le jardin de la maison Jean Vilar (trois autres suivront en fonction de la langue à l’honneur), la chose est un peu plus complexe : en effet, l’intrigue de la pièce de Shakespeare, on le sait, est déjà passablement labyrinthique elle-même, et d’autres avant Gwenaël Morin s’y sont cassé les dents. 

Alors si ce « Songe », paré d’un sous-titre avignonnais, « Démonter les remparts pour finir le pont », reste, disons-le, une vraie réussite, il faut bien concéder que ce fameux pas de côté est naturellement moins opérant, voire même un peu tautologique : autrement dit, ce qui avant décalait l’endroit du texte se range à présent à son service. Quelque chose s’inverse donc : dans les Racine par exemple, ce décalage sublimait les scènes les plus tragiques, tandis qu’ici, il vient appuyer les endroits burlesques, dont le texte de Shakespeare est copieusement émaillé. Ce n’est pas pour rien que la dernière scène, emmenée par l’excellent Grégoire Monsaingeon, est la plus réussie, car il s’agit de monter sur les tréteaux pour de bon, et les deux folies, du texte et de la mise en scène, se rencontrent : on a d’ailleurs presque le sentiment que le spectacle culmine, et, comme souvent chez Morin, une fois la machine dramatique lancée, on sait qu’on pourrait s’y plaire des heures. De fait, même si « Le Songe » n’a peut-être pas la profondeur d’autres travaux du metteur en scène, il est heureux de voir comment son approche dramatique est à la fois malléable et efficace, et comment elle se reconfigure habilement face à des matériaux pourtant plus sibyllins.