Kortárs Drámafesztivál : un show case hongrois

“Oxygen” (c) Noval Goya

Le « Kortárs Drámafesztivál » (Festival de théâtre contemporain) de Budapest en est cette année à sa 13e édition, avec deux caractéristiques principales : une dimension « show case », orientée vers des professionnels étrangers (programmateurs, critiques, agents littéraires…) et un focus sur la nouvelle génération de metteurs en scène hongrois.

Porté par la Fondation SzínMűHely, le festival a commencé en 1997 en biennale, avant de se poursuivre à un rythme annuel depuis 2007. Dans un contexte politique extrêmement tendu, confrontée aux changements de priorités culturelles du nouveau gouvernement et à la diminution des aides publiques, la directrice du festival, Mária Mayer-Szilágyi, tente de maintenir le cap : le festival est un appel d’air pour la création hongroise et s’oriente de plus en plus vers l’international, notamment dans le cadre de programmes de traductions d’auteurs contemporains.

C’est ainsi qu’on aura pu retrouver le percutant « Oxygène » de Viripaev (créé originellement en 2003), adapté par le jeune Bálint Szilágyi, étudiant en dernière année à l’Université d’art dramatique et cinématographique de Budapest. Le spectacle, produit par le festival, tient davantage de la performance dans un lieu atypique : l’Anker’t, bar branché pour hipsters de la capitale établi dans une vieille bâtisse du centre (le concept de romkocsma ou ruin pub est né au début des années 2000). Sándor Márkus et Angéla Eke, manipulant une tête de Jésus imprimée sur une énorme croix gonflable, sont accompagnés par un DJ dont les interventions ponctuent le slam. Ils font écho, en une série de séquences inspirées des Dix Commandements bibliques, aux problématiques morales auxquelles est confrontée la jeunesse russe (et plus largement est-européenne) d’aujourd’hui.

Nettement moins convaincant, au Jurányi (incubateur théâtral ouvert en 2012), « One Woman », de Béla Paczolay, s’appuie sur le témoignage d’Éva Péterfy-Novák publié dans un livre best-seller il y a deux ans. Son adaptation scénique souffre d’un manque de recul, d’un trop-plein de paroles engluées dans une non-théâtralité, en dépit de l’excellente comédienne Réka Tenki. Mais nul doute que le spectacle peut, à l’instar du succès de « Réparer les vivants » en France, toucher un public enclin à se laisser entraîner par un théâtre naturaliste, psychologisant et au plus juste de problématiques très actuelles.

Au Katona József Theatre, haut lieu de la création contemporaine plutôt engagée politiquement, « The Champion », de Béla Pintér, joue à guichets fermés. La pièce, dans une forme opératique parodique adaptée pour piano solo d’« Il tabarro », de Puccini, est une satire de la corruption dans la vie politique hongroise sur fond d’amour triangulaire contrarié. Un projet efficace mais vocalement bancal et un peu démagogique. « The Day of Fury » s’appuie quant à lui sur un fait divers survenu début 2015 en Hongrie, autour de revendications dans le milieu hospitalier. Le metteur en scène Árpád Schilling (dont la compagnie Krétakör sillonne depuis dix ans les scènes européennes) en a tiré une tragédie sociale portée par des comédiens impeccables, souffrant toutefois d’un côté surdémonstratif que Heiner Müller avait diagnostiqué en son temps : « L’art abandonne sa qualité subversive dès l’instant où il essaie d’être directement politique. » Mais on comprend que la complexité du contexte politique hongrois multiplie ce type d’initiatives théâtrales.

“Your Kingdom” (c) Imre Kővágó Nagy

Mention spéciale à deux spectacles atypiques : « A Short History of Our Time », tout d’abord, pièce pour marionnettes à laquelle on assiste matinalement au centre culturel Trafó. Conçue par Károly Hoffer, elle s’appuie sur un scénario et une ambiance dignes du « Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire » de Jonas Jonasson : rocambolesques, légers et très cinématographiques. On suit avec délectation les aventures de ces quatre vieux Hongrois partis dans un improbable road trip à destination de Venise, pour exaucer le dernier souhait d’un mourant. L’esthétique est rétro mais manie avec subtilité les clashes générationnels des registres de langue. Retour au Jurányi pour « Etikett », proposition 100 % post-théâtrale pour deux comédiens et une voix off. De part et d’autre d’un long plateau blanc et rectangulaire semblable à une piste de défilé de mode, c’est-à-dire un monde de voyeurisme et de superficialité, le dispositif bifrontal et les écouteurs permettent un jeu de manipulation du public, amené à participer par des instructions absurdes. Le tout dans un objectif de déconstruction des codes sociaux et de leur impact sur nos interactions physiques. Cette représentation ionescienne des travaux d’Edward T. Hall, si elle tourne un peu à vide, reste drôle et mordante.

Enfin, le meilleur était pour la fin dans la grande salle du Trafó avec « Your Kingdom », d’après les récits de Sándor Tar adaptés par Tibor Keresztury. Tar y raconte les difficultés du passage à l’ère postsoviétique, la misère et l’alcoolisme dans la classe ouvrière. Le metteur en scène et chorégraphe Csaba Horváth, fondateur de la compagnie Forte, les représente dans un théâtre physique d’une puissance visuelle remarquable. Par un jeu sur des tuyaux en plastique, sans cesse recomposés comme accessoires multifonctions, ponctuant la narration par des airs a cappella du folklore hongrois aussi bien que des morceaux pop, la troupe se déploie avec minutie et cohésion en un rythme fulgurant.

Kortárs Drámafesztivál, Budapest, du 2 au 10 décembre 2016